Desjardins

Télévore

C'est la crise. Chez les producteurs télévisuels, on compte minutieusement ses points du club Z et on fait des courbettes aux banquiers depuis que le Fonds canadien de télévision a réduit de 25 M $ son financement, refusant pas moins de 68 % des projets présentés au secteur français, contre 28 % l'an dernier.

Si c'était drôle, on aurait ri. Et, à vrai dire, le retrait du financement à d'immondes séries comme Km/h, Histoires de filles et 450, chemin du Golf semblait, au départ, assez réjouissant. Fini le nivellement par le bas du divertissement québécois!

Restera bien un ersatz de Fureur sans Véro, d'atroces moments de télé avec Dominic et Martin et, sans doute, tout plein de casinos cathodiques comme La Poule aux oeufs d'or. Autant d'excellentes incitations à l'achat d'une antenne satellite. Mais bon, on ne peut pas tout avoir, même en soufflant d'un seul coup toutes les bougies sur son gâteau.

Et là n'est pas la seule raison d'abréger les festivités. En creusant un tout petit peu le dossier, il appert que le Fonds, contrairement à Téléfilm Canada, ne tient aucun compte de la qualité des émissions qu'il finance, de leur popularité, ou encore, de leur incidence culturelle. C'est plutôt un calcul mathématique que d'aucuns considèrent comme nébuleux qui tient lieu de jugement suprême dans l'attribution du fric. C'est dire à quel point le gouvernement se préoccupe de ce qu'on programme dans l'esprit d'une société rivée à l'écran…

Chez l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), c'est la grosse panique sale. On envoie des cassettes vierges à Ottawa en guise de protestation symbolique pour les 150 heures de télévision locale qui seront vraisemblablement abolies, on prépare un message télévisé avec les vedettes dont les séries sont menacées, bref, on rue dans les brancards tant qu'on peut. L'effort est louable, mais on passe encore à cent mille pieds du véritable enjeu, celui qui place encore et toujours les diffuseurs privés à la remorque de l'argent des contribuables.

Et puisque personne n'ose aborder la question, je vous le demande: qui souhaite réellement que ces fonds servent à financer une émission de télé banale, commanditée par les chips Yum Yum, dont le sous-titrage est présenté par les lentilles Acu-Vue, qui comprend au moins un tiers d'espace publicitaire payé à grands frais et dont les profits retombent dans les poches d'une station et d'un producteur?

En forçant certains diffuseurs à revoir leur financement, le gouvernement canadien commet cependant une grave erreur, son apparente objectivité quant au contenu nuisant bien plus qu'autre chose à la diversité et à la richesse de la télé.

Des émissions comme Km/h n'auront pas grand mal à placer une canette de Pepsi dans les mains de Michel Barrette ou une bouteille de Valvoline dans celles de Gildor Roy. Et chez 450, chemin du Golf, une piscine Trevi dans la cour en carton-pâte du François Massicotte de la banlieue montréalaise. Car entendons-nous, ces shows n'ont aucune intégrité à protéger, ils évoluent déjà en deçà de ce que le protozoaire moyen peut ingurgiter comme horreur télévisuelle. Alors tant qu'à se pencher par en arrière…

Mais essayez donc d'imaginer la même chose avec Christiane Charette, ou les Zapartistes, ou Phylactère Cola? Impossible. Non pas en raison d'éventuels conflits avec les compagnies qu'endossent déjà ces artistes en dehors de leurs séries respectives, mais plutôt parce qu'ils n'en endossent aucune.

Ce ne sont pas les grosses productions qui attirent des millions de téléspectateurs chaque semaine qui souffriront, au final, de ces coupures draconiennes. Ni leurs vedettes, commanditées à tour de bras, porte-parole de toutes les cochonneries vendables et invendables. Ce sont les artisans que l'on prive, ceux qui risquent de faire avancer la télé autrement qu'en tournant en rond.

Ceux qui choquent, qui brassent la cage, qui ébranlent nos certitudes sont condamnés au mutisme par le gouvernement du plusse meilleur pays au monde. Alors, pour la promotion de la diversité culturelle canadienne, on se reprendra peut-être l'année prochaine?