En janvier, une station de radio où on avait lu ma chronique intitulée Dommages collatéraux m'a demandé de me prononcer à propos du lynchage public des accusés, mais surtout de leurs familles, collègues et amis, dans l'affaire entourant l'Opération Scorpion.
J'appris plus tard que, parmi la joyeuse bande de chroniqueurs de Québec, à peu près personne n'osait émettre d'opinion sur la question en ondes, de peur de se faire à son tour passer au batte par l'atomique André Arthur. Faut dire que ça jouait dur.
À moins d'avoir passé le temps des Fêtes dans une zone démilitarisée, vous savez qu'Arthur et Jeff Fillion ont mené une guerre sans merci contre les aussi renommés que présumés clients du Wolf Pack. Sous-entendus, histoires croustillantes et incriminantes à souhait auxquelles on ajoute la rumeur qui gronde dans une bourgade en manque de danger imminent pour obtenir le plus explosif des cocktails. Que dis-je, une ogive thermonucléaire dont le rayon d'action s'étend même au delà du territoire municipal fusionné. Alors personne n'osait trop s'en approcher, de peur d'être contaminé par les radiations.
Au fait, saviez-vous que, à la suite d'une exposition prolongée aux radiations, le corps humain sécrètent une odeur semblable à celle du purin?
Avec leurs coups de gueule, leurs débordements, leurs attaques publiques contre des personnalités en vue qui prennent trop souvent des airs de vengeances radiophoniques, les chefs de file de la trash radio cartonnent autant qu'ils inspirent la peur. Le récent sondage BBM dont les résultats paraîtront la semaine prochaine devrait en faire foi.
Québec est-elle alors cette ville schizophrène que décrivait mon collègue Richard Martineau l'hiver dernier? Un endroit calme et paisible où la population ressent paradoxalement le besoin de s'immerger dans la fange radiophonique? La capitale nationale – ou est-ce qu'on doit dire provinciale depuis que les libéraux sont au pouvoir – est-elle le chef-lieu du mauvais goût, de la démagogie? Sommes-nous pires que les autres?
Le furieux Gilles Proulx, l'hystérique Doc Mailloux, le patibulaire Jean-Luc Mongrain, le pétrifiant Jean Lapierre et, jusqu'à récemment, les abominables commentaires éditoriaux de Simon Durivage en ouverture du bulletin télévisé de TVA suffisent pour se convaincre que la communication de poubelle n'est certes pas uniquement l'apanage de notre ville.
Québec se distingue donc surtout pas sa forte concentration en électrons libres sur les ondes. Par son état de dernier bastion des véritables artisans de la radio dans les réseaux privés. À Montréal, on leur préfère de loin les vedettes de la télé et les humoristes, misant sur leur célébrité plutôt que sur leurs qualités de communicateurs.
Si cette particularité implique qu'ici, on doive se colleter avec la colère quotidienne des Arthur et Fillion, ainsi soit-il. De toute manière, qui blâmer d'autre pour leur popularité que leurs auditeurs? Personne ne les force à écouter à ce que je sache. Et même si d'avancer que les adeptes de la trash radio souffrent d'une intelligence hypothéquée peut paraître rassurant, il s'agit pourtant d'un mensonge élitiste qui flirte dangereusement avec le fascisme.
C'est pourtant ce qu'avance le CRTC en s'imposant comme seul maître des ondes.
Quelle hérésie! Ça revient à dire: "C'est pas de votre faute, vous êtes trop cons pour faire la part des choses, alors on va bâillonner ceux que vous écoutez parce que c'est mauvais pour vous." C'est un peu comme ceux qui lancent des pierres dans les vitrines du Gap pour protester contre les pratiques du géant de la guenille alors que, tant que les clients s'y présenteront, la chaîne poursuivra ses activités.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est le citoyen qu'il faut informer, responsabiliser. Pas seulement de ses droits, mais aussi de ses devoirs.
Ne vous méprenez pas! Je ne cautionne pas toutes les imbécillités qu'un Fillion bien remonté peut émettre le matin. Au contraire. Elles sont le plus souvent inutilement agressives, déplorables, malhabiles, proférées dans un français à ce point approximatif qu'elles perdent toute portée.
Nous vivons cependant dans un État de droit (ce qui signifie que, si vous êtes indûment lésés, vous pouvez toujours poursuivre!), où chaque citoyen est libre de penser et de dire ce qu'il veut, mais a aussi le devoir de s'abreuver à différentes sources d'information, de faire preuve de discernement afin d'étayer ses propres jugements.
Et cela s'étend bien au delà du filtrage de l'information émise par les gourous de la radio-caniveau dont les divagations font trembler les personnalités publiques, mais aussi à l'ensemble du monde journalistique théoriquement plus vertueux.
Comme certains chroniqueurs qui testent l'élasticité de la vérité en déformant les faits au profit du style ou du sens qu'ils veulent donner à leurs propos.
Parlant de mensonge, je me confesse, l'allusion aux corps irradiés qui sentent le purin était une pure invention de ma part. Pour faire joli. En auriez-vous douté?
C’est bien de vouloir éduquer la population. Et c’est un emploi à plein temps à vie.