C'est un truc qu'on apprend dès l'enfance: les mensonges n'ont d'importance que si on se fait prendre.
Exactement ce que devait se dire l'ex-journaliste du New York Times, Jayson Blair, en recopiant l'article d'un collègue depuis un resto de Brooklyn alors qu'il devait se trouver à l'autre bout du pays en reportage.
C'était avant que le journal ne découvre pas moins de 36 irrégularités (plagiat, invention pure de faits et de citations) dans 73 articles écrits entre octobre 2002 et avril 2003.
Mais Blair, ultime symbole de la disgrâce dans laquelle sont tombés les journalistes, est-il vraiment le symptôme d'un cancer qui ronge la profession?
Certes, comme le rappelle un columniste du BusinessWeek, les examens de conscience dans l'incestueux monde du journalisme ne sont jamais superflus, mais avions-nous vraiment affaire à un journaliste, ou si Blair n'était en fait qu'un faussaire professionnel, et non pas seulement un fraudeur d'occasion?
Toutes les données révélées par le New York Times tendent à démontrer que la première affirmation est la bonne, que Blair s'est délecté de ses mensonges répétés, de sa supercherie. Qu'il a profité de son statut et de son indépendance pour flouer son employeur et ses lecteurs sur une base régulière.
Blair était heureux comme un loup lâché lousse dans une bergerie. Et en voyant avec quelle aisance il a su tromper tout le monde, on se demande si on doit l'admirer ou le mépriser.
Car il ne s'est pas rendu coupable, comme semblait l'insinuer Pierre Foglia, d'une légère entorse à l'éthique que la plupart des journalistes commettent un jour ou l'autre pour répondre à des contraintes de productivité. C'est un faussaire, un fantastique crosseur qui s'apprête d'ailleurs à écrire un livre sur ses agissements. Pas de quoi mettre l'ensemble du métier au pilori, parce qu'en agissant de la sorte, Blair avait renoncé à son statut de journaliste pour devenir un imposteur.
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Toujours au rayon des métastases journalistiques, le magazine Technikart faisait preuve d'une troublante audace en publiant un dossier complet sur la postcritique ou, si vous préférez, la critique d'art à l'ère du capitalisme sauvage et de la pensée binaire.
En plein exercice d'autodérision, les éditeurs du magazine expliquent comment leurs scribes sont manipulés, achetés à coups de caisses de godasses, de portables, de voyages tous frais payés, et comment l'industrie de la culture a récupéré la critique d'art pour en faire un pion du marketing pour ses produits.
Chez Technikart, "pas de ligne de parti, pas de charte déontologique, acceptation de tous les cadeaux et voyages de presse mais hyperconscience professionnelle (sic!), un rédacteur en chef tyrannique mais libertaire (…), un artisanat qui confine au professionnalisme, des filles superbes, un amour sauvage pour la vérité", peut-on y lire.
Bref, on est à la limite du chaos. Plutôt que de se battre contre la machine, les journalistes de Technikart, cyniques et opportunistes, ont décidé de s'en prévaloir, d'en profiter. Par une tout autre voie que celle prise par Jayson Blair, eux aussi renoncent à leur statut de journaliste en refusant de se plier aux règles de l'éthique.
Encore une fois, pas de quoi mettre le métier au pilori, mais au moins l'occasion de faire notre examen de conscience, surtout en ce qui concerne ceux qui, ici même, s'adonnent depuis un moment à une forme de postcritique, sans trop le savoir.
J'en profiterais pour souligner le travail de ce collaborateur occasionnel du SOLEIL qui a cru bon recopier presque intégralement quelques-uns de mes papiers, idem pour une chroniqueuse de Télé-Québec qui n'avait rien trouvé de mieux que le plagiat d'un paragraphe complet d'un de mes textes pour présenter le spectacle de Noir Désir. Bravo aussi à ce risible critique du Journal de Québec qui, lorsqu'il n'est pas occupé à recopier des communiqués de presse, annonce rien de moins qu'une résurrection: la présence sur scène du défunt chanteur de AC/DC, Bon Scott.
Car si le caractère machiavélique d'un Blair et l'étalage cynique des gens de Technikart me fascinent et m'effraient à la fois, l'incompétence et la paresse crasse de ces gens qui poursuivent leurs méfaits dans l'ignorance du public me scient en deux! "Pas vu, pas pris", se disent-ils? On verra bien.
Et tiens, au moment de terminer cette chronique, j'apprends qu'un autre journaliste du New York Times, Rick Bragg, récipiendaire d'un prix Pulitzer, est quant à lui suspendu pour avoir signé un article qu'il n'aurait pas écrit seul.
Ça sent la chasse aux sorcières…
Je dois filer; pas que j'aie grand-chose à me reprocher, sinon une tasse à café Éric Lapointe et deux camisoles à l'effigie de Caroline Néron à planquer avant que le Conseil de presse ne fasse une descente chez nous.
Personnellement je voudrais dire BRAVO à M. Desjardins, qui écrivait dans son billet du 6 février dernier que le premier homme en orbite est l’américain John Glenn (dont le vol date du 20 février 1962) alors que le nom de Youri Gagarine (mis en orbite le 12 avril 1961) aurait été plus fidèle à la réalité.
Quand on parle d’éthique journalistique, je pense que M. Desjardins ferait mieux de regarder dans sa cour avant de critiquer les autres.
Risible.