Desjardins

Buzzé, man

On nage dans la brume. Dans celle qu'on inhale et qui gèle.

Alors que le gouvernement fédéral s'apprête à amender un projet de loi controversé concernant la décriminalisation de la marijuana, les poteux errent dans le flou qui règne entre l'éventuelle législation fédérale et la jurisprudence, pas trop certains s'ils peuvent en griller un sans trop frémir.

Ils seront contents d'apprendre que depuis la semaine dernière, les policiers de Toronto n'arrêtent plus qui que ce soit pour possession simple. "On attend de voir ce qui va se passer avec la loi", aurait dit le chef Julian Fantino, exposant ainsi le coeur du problème concernant la marijuana: qui croit encore que ce soit un crime d'en fumer?

Même aux États-Unis, un sondage révélait l'an dernier que 72 % de la population est en faveur d'une décriminalisation de l'herbe folle. Onze États agiraient déjà en ce sens.

Au Nevada, un important lobby pour la légalisation complète a convaincu près de 40 % des citoyens qui se sont rendus aux urnes que ce serait une bonne chose que la fumette soit aussi légale que la bière.

Et depuis l'avènement de l'ère antiterrorisme, la moitié des agents du FBI qui étaient affectés à la lutte contre la drogue se sont tournés vers une menace bien plus inquiétante que le Québec Gold.

Normal: tout le monde fume ou presque. Vous ne me croyez pas? Vous pensez que j'exagère. Peut-être un peu. Mais 100 000 adultes canadiens qui tirent une puff tous les jours, ça commence à faire pas mal de monde. Et combien ça peut faire d'utilisateurs occasionnels, de ceux qui prennent une touche dans un party le vendredi soir? Probablement des millions.

À moi tout seul, j'ai vu des avocats, des athlètes, des comptables, des informaticiens, des professeurs du primaire, du secondaire et du collégial, des médecins, des infirmières, des ingénieurs, des chefs d'entreprises réputées, des pompiers et, oui, des policiers, avec un pétard aux lèvres. Tout ce beau monde se calfeutre les neurones de temps en temps. Et si vous n'en avez pas conscience, c'est simplement qu'ils le font en privé. Que peu s'en vantent puisqu'il s'agit toujours d'un tabou que la répression morale, liée à des lois caduques, fait perdurer.

C'est justement avec ce regard réactionnaire que notre nouveau gouvernement du Québec, les anciens stoners avoués que sont les ministres Bellemare et Chagnon en tête, s'oppose au projet de loi du fédéral. "Je ne pense pas que vous suggéreriez à vos enfants de fumer du pot", a lancé Chagnon, exposant ainsi qu'il craignait une insidieuse banalisation de la drogue.

Parlez-moi d'un argument bidon. Suggéreriez-vous à vos enfants de boire, de fumer des cigarettes ou de flamber leur allocation en gratteux, tant qu'à y être?

Et si on faisait preuve d'un peu moins d'hypocrisie et qu'on regardait le problème en face, comme l'ont déjà fait quelques pays d'Europe?

Dans un documentaire sur le modèle hollandais intitulé Sex, Drugs and Democracy, on peut apercevoir nombre de politiciens considérés comme conservateurs mais qui appuient la légalisation de la prostitution comme la tolérance pour les drogues douces. S'ils le font, ce n'est certes pas de gaieté de coeur, mais parce que la réalité a finalement pris le pas sur la morale. Parce que leur éradication est simplement impossible, qu'on ne peut l'envisager.

De même, la SQ aura beau sortir son attirail de guerre tous les automnes, patrouiller les champs du haut des airs et couper tout ce qu'elle rencontre à la scie mécanique, jamais elle ne parviendra à enrayer le besoin que ressentent tant d'humains de se soustraire à l'accablant réel.

Que ce soit par le jeu, l'alcool, Star Académie ou Ma maison Rona, on cherche à se sortir de soi par tous les moyens possibles. Un mal de l'âme sur lequel aucun gouvernement n'a prise et qui rend toute morale plus malléable qu'un cube de hasch.

Le débat entourant la mari apparaît donc aussi stupide qu'un dialogue entre Cheech & Chong, les interlocuteurs ne semblant pas trop comprendre de quoi il retourne au juste, s'époumonant en vain devant une situation à laquelle ils ne peuvent rien changer.

Je sais que je vais vous surprendre, et peut-être en choquer quelques-uns, mais je pense qu'on ne devrait rien changer à la loi, du moins, pas dans les termes qui ont été discutés jusqu'ici. Sa caducité la rend inapplicable, ce qui force un laxisme certain chez les policiers dont le comportement est, dans la plupart des cas, déjà de l'ordre prescrit par le projet de loi que le ministre Cauchon cherche à faire adopter. Les amendes en moins.

D'ailleurs, vous n'en avez pas marre de ce foutu projet parti en vrille pour probablement finir en cul-de-sac? Si on s'en roulait un gros, histoire d'en rire plutôt que d'en pleurer…