Desjardins

Des mots et des maux

"La vulgarité, c'est ce que font les autres." – Oscar Wilde

Vous avez dû le lire et l'entendre au moins 20 fois depuis quelques mois: le bon goût est dépassé, out. Au revoir rédhibitoire rectitude politique; vive les dildos de Varda, les blagues salaces à la Roméo Pérusse et les pitounes en suits stretchés de l'équipe Molson Dry!

Ce qui a l'air de réjouir pas mal de monde, même la rédactrice en chef du très chic magazine Adorable, qui, défendant à moitié les postures pornographiques de Christina Aguilera, se demande ce que veulent bien dire ceux qui la considèrent vulgaire ou obscène, alors que l'"artiste", par ses chansons (faut-il préciser), propose une intense réflexion sur la beauté intérieure… Ouf!

À l'âge de la porno à ciel ouvert où on vous vend non seulement du parfum, mais des 2 x 4, de la musique ou de la psycho pop avec des filles à poil, les notions de vulgaire et d'obscène ont-elles encore un sens? Et si oui, lequel?

Comme chaque nouveau mouvement sociétal n'est pas sans amener son lot de confusion sémantique, l'ère du "tout le monde tout nu" dans laquelle nous avons plongé ne fait pas exception.

Et bien que le dictionnaire Robert soit d'un réconfortant secours en nous apprenant que le vulgaire se rapporte à ce qui est "bas, commun, trivial et grossier" alors que l'obscène s'apparente plus à "l'immoral, au licencieux, à l'impudique et au déshonnête", rien ne vaut quelques savoureuses démonstrations afin de mieux saisir la nuance.

Toujours dans le domaine du sexe, prenons le Anna Nicole Show, dont j'ai pu visionner un épisode la semaine dernière. En l'espace d'une demi-seconde, l'ex-top-devenue-pachydermique-et-s'étant-mariée-à-un-vieux-millionnaire-tout-décati-pour-son-fric parvient à transgresser avec une insouciance troublante les limites du bon goût. Avec sa démarche supposément lascive, ses vêtements malheureusement révélateurs et ses deux zeppelins de silicone, Anna Nicole Smith est un personnage vulgaire au possible. Une sorte d'archétype.

À mon avis, ce n'est que lorsqu'elle ouvre la bouche qu'elle se révèle carrément obscène, comme lorsqu'elle demande avec une candeur repoussante à Larry Flint, le boss du magazine Hustler, s'il parvient encore à obtenir une bonne grosse érection malgré sa paralysie. Too much information, comme dirait l'autre.

Mais au delà du cul, n'existe-t-il pas d'autres paradigmes clairement plus révoltants du terrible sens que renferment ces termes?

Par exemple, Jean Chrétien qui fait le pitre à une rencontre du G8, c'est plutôt gênant et assez vulgaire. On est d'accord. Mais le même Jean Chrétien qui, dans une entrevue accordée à un quotidien montréalais samedi dernier, s'affirmait particulièrement fier d'être à l'origine de la Loi sur la clarté référendaire, une insulte aux principes mêmes de la démocratie, c'est plutôt obscène, non?

Aussi, quand l'animateur François Reny parvient à se surpasser d'un commercial de meubles à l'autre en exposant une atroce collection d'habits comprenant les chemises les plus hideuses qu'il soit donné de voir, on s'entend pour dire que c'est platement vulgaire. Cependant, lorsque le même François Reny plogue les spectacles qu'il produit dans sa propre émission de radio ou, pire, qu'il commente l'actualité, cela ne devient-il pas carrément obscène?

C'est plus clair, non? Et forcément subjectif…

La vulgarité nous répugne alors que l'obscénité nous révolte.

Ou plutôt, devrait-elle nous révolter? Car pendant qu'on déchire nos chemises pour forcer les adolescentes à en porter, qu'on se demande s'il est acceptable de voir le string d'une telle ou les seins d'une autre, on laisse passer les pires travers sans même broncher.

Comme si, par dépit, on préférait s'attaquer à des cibles faciles qui risquent de disparaître d'elles-mêmes plutôt que de s'indigner devant le mépris, la duperie et l'absence d'imputabilité que nos sociétés ont normalisés, par cynisme.

On se moque de nos politiciens, mais on évite de contester leurs égarements narcissiques. On rigole de l'absence de goût d'un animateur, mais on esquive les questions d'éthique et de compétence.

Nous fustigeons le trivial et ignorons l'immoral, condamnons le grossier en évitant de toucher au déshonnête.

N'est-ce pas là, à mille lieues des bobettes de Christina, que réside la meilleure description de ce qu'est l'obscénité?