Desjardins

À tort ou à raison

De nos jours, il me semble que la seule certitude qu'on puisse avoir, c'est qu'il n'y en a aucune. Sauf peut-être en mathématiques, et encore, à regarder l'état du monde, on en vient parfois à se demander si deux et deux font toujours quatre.

Les certitudes, on devrait laisser ça aux fanatiques, aux dévots, aux étroits d'esprit et aux extrémistes, tels que les courageux justiciers masqués qui manifestaient contre la Fête du Canada la semaine dernière.

En voilà une belle bande pour qui le discours est sans équivoque: si ça va mal au Québec, c'est uniquement la faute des Anglais. Si vous n'êtes pas convaincu, que vous croyez que les Québécois ont eux-mêmes quelque chose à y voir, ne serait-ce qu'un tout petit peu, et ce, sans même écarter la part de vérité que contient leur discours, vous êtes automatiquement rangé au rayon des suppôts d'Ottawa, des traîtres à la nation, des infâmes fédérastes. Une posture aussi débile que celle des défenseurs aveugles du désormais huitième plusse meilleur pays du monde.

J'ai d'ailleurs une excellente anecdote à ce sujet. De quoi vous assurer du sérieux de ces types.

Il y a quelques années, je faisais mes premières armes dans le milieu des communications en animant une émission quotidienne sur les ondes de la station radiophonique de l'Université Laval. Deux membres du MLNQ nous avaient alors fait parvenir un tract dont le contenu se résumait par: il y a un complot émanant d'Ottawa visant à ne mettre en place que des animateurs fédéralistes sur les ondes de la radio de Québec le midi.

Yesse, me suis-je alors dit, des conspirationnistes comme on les aime.

Flairant le bon filon, j'invite les énergumènes à mon émission et passe une bonne demi-heure à me payer leur tête. Tellement absorbés par leur discours sans queue ni tête, nos deux pauvres gaillards arrivent à peine à saisir que je me moque d'eux et il leur faudra écouter l'enregistrement de l'entrevue (que je leur avais courtoisement fourni) pour enfin comprendre que ma question "Croyez-vous aussi aux extra-terrestres, tant qu'à y être?" comportait une dose certaine de sarcasme. Ont suivis des mois d'intimidation téléphonique, d'enquêtes à mon sujet auprès d'autres membres de la station et d'incessants coups de téléphone où on demandait à parler à un certain "speak white Desjardins". Édifiant, n'est-ce pas?

***

On a évacué le débat au profit de l'affrontement, on ramène tout à la morale qui est forcément manichéenne, vous ai-je déjà dit dans une autre chronique, citant approximativement le penseur français Alain Finklekraut qui, lui aussi, prône le retour à une position centriste, au doute constant.

Malheureusement pour lui, vous et moi, aussi absurde et improbable soit l'affirmation, si elle sert à défendre un point de vue jugé juste, elle est impérativement recevable et ne doit en aucun cas être discutée.

C'est le retour de la pensée totalitaire qui n'admet qu'une seule vérité alors qu'il y en a pourtant plusieurs.

Parmi celles-là, on constate qu'au Québec, on rejette constamment la faute sur les autres plutôt que de se prendre en main, parce que c'est tellement plus facile et, surtout, rassurant.

Par exemple, si un homme ne se trouve pas de travail, c'est la faute des quotas d'embauche discriminatoires en faveur des femmes. Si la criminalité augmente, c'est la faute des immigrants qui, eux, rejettent la faute sur les "locaux" qui les poussent à la criminalité par la ségrégation morale, le racisme, la ghettoïsation et la discrimination silencieuse. S'il y a 300 mises à pied dans une usine, c'est la faute au patron qui veut s'enrichir; ce dernier rejetant le blâme sur le syndicat dont les exigences dépasseraient l'entendement. Et pour ce qui est de l'avenir du Québec, entre fédéralisme et souverainisme, disons seulement que les positions sont bien campées et plutôt irréconciliables…

Dans tout cela, qui a raison et qui a tort? Posez-vous la question, mais n'y répondez pas tout de suite, laissez-la en suspens, juste pour voir.

Ça fait peur, hein?