Desjardins

Un digespliff avec ça?

Je vous ai entendus. D'ailleurs, j'aurais difficilement pu faire autrement, tellement vous avez été nombreux à m'écrire, à me téléphoner ou à m'interpeller au coin d'un bar pour me parler de marijuana depuis ma récente chronique sur le sujet (Buzzé, man, 12 juin 2003).

Outre les "t'en fumes-tu, toi?" et autres questions sans importance (on m'a même interrogé sur ma sorte de papier à rouler favori), vous avez joint vos cris au mien pour dénoncer les incohérences dans l'approche gouvernementale, mais aussi dans la morale ambiante qui déifie les drogues institutionnelles comme les antidépresseurs et anxiolytiques, qui tolère l'alcool, le jeu et les cigarettes, mais porte un regard pour le moins réprobateur sur les drogues condamnées par le Code criminel.

Aussi, j'ai été plutôt surpris qu'aucun d'entre vous ne remette ça pour me souligner à quel point la partie de cache-cache dans laquelle s'engage Santé Canada concernant la marijuana thérapeutique est stupéfiante. Au risque de commettre un mauvais jeu de mots.

C'est peut-être que vous n'avez pas vu la nouvelle… Alors je vous raconte en vitesse.

Forcé par la Cour supérieure de l'Ontario à rendre la marijuana disponible aux malades accrédités qui se plaignaient d'avoir à fréquenter le crime organisé pour se procurer leur "médicament", le gouvernement du Canada s'est engagé à fournir le stock. Emporté par la lame de fond, Santé Canada se voyait aussi forcé, bien contre son gré, de produire un guide d'utilisation idoine.

Tellement contre son gré qu'au final, ce document visiblement bâclé ne nous apprend que les dangers liés à la consommation du pot. Déjà vu, déjà entendu. Le genre de brochure que vous remet le gros policier moustachu affecté à la prévention du crime dans les écoles et qui prévient que vous pourriez être victime d'hallucinations si vous consommez de la mari. Ce qui reviendrait à avertir les consommateurs de bière que leurs congénères peuvent paraître beaucoup plus séduisant(e)s qu'ils ne le sont en réalité passé un certain taux d'alcoolémie. Les anglos appellent ça des beer goggles, ce qui ne se traduit pas par "hallucinations".

Mais il ne s'agit là que d'un aspect de l'esprit de contradiction dont font preuve gouvernements et institutions connexes. Une attitude qui s'apparente au mépris quand on constate que quatre années après que l'ancien ministre de la Santé Allan Rock ait promis de réelles études sur les effets secondaires de la marijuana médicinale, aucune conclusion n'a été émise. Et pour cause, les chercheurs s'étant vu retirer le financement qui leur était alloué, sans qu'on sache pourquoi, et tout juste avant de pouvoir procéder à des essais cliniques; ce qui a provoqué la démission du médecin torontois Greg Robinson, porteur du VIH, qui siégeait au comité consultatif sur la marijuana thérapeutique et qui prétexte que la ministre Anne McLellan gère bien mal le dossier.

J'ai donc imaginé une solution pour sortir l'affaire de l'impasse. Une idée pas trop orthodoxe, même pas sérieuse une seconde, mais vous commencez à me connaître, j'aime pas trop les psychodrames et je suis un peu fantaisiste.

Alors, convions donc la ministre McLellan à un souper, et invitons aussi Jirina Vlk, porte-parole de Santé Canada et le docteur Henry Haddad de l'Association médicale canadienne qui dénonce la Loi sur la marijuana comme médicament. Et pourquoi pas Stéphane Dion, juste parce que ça lui ferait du bien de sortir un peu.

Au menu, tel que trouvé dans l'excellent Medical Marijuana Cookbook (que Santé Canada aurait pu suggérer comme solution de rechange à la fumette), proposons le potage Carlos Santana, suivi du très anglo Cannabis Pot Roast accompagné du plus exotique Chili con Cannabis, pour finir avec les intrigants Ganja Magic Brownies.

Et j'imagine, dans mon fantasme, Stéphane Dion roulant un immense digespliff à la jamaïcaine en fin de repas, tout ce beau monde se passant l'engin fumant, irradiant la joie de vivre, l'amour et la compassion. Se racontant des blagues de potache, riant de Jean Chrétien et des chemises de preppie de Pierre Pettigrew.

Je ne vous dis pas qu'on y réglerait des problèmes, à ce souper enfumé, mais les langues devraient s'y délier et, faute de prendre une décision, tout ce beau monde saurait enfin de quoi il parle.

Ce serait au moins ça de pris, non?