Desjardins

Extension du domaine de la pute

"Une rencontre qui pourrait se transformer en une agréable partie de jambes en l'air, c'est un petit prix à payer pour obtenir la liberté de dépenser de l'argent comme je le souhaite."

– Stacey, 17 ans

Stacey n'est pas une victime du Wolfpack. Elle n'est pas pauvre non plus; ses parents et elle vivent dans un quartier cossu de Minneapolis. Elle n'a pas de problème de drogue ni d'alcool et ne se prostitue pas sous le joug d'un infâme proxénète. Elle n'est victime d'aucune violence à la maison ou à l'école. Encore moins dans la rue.

À peu de choses près, Stacey pourrait être votre fille.

Elle ne rentre jamais chez elle passé minuit. Elle obtient de bons résultats à l'école et projette de joindre les rangs de l'équipe de tennis de son collège. Mais certains soirs, la jeune fille modèle offre à des hommes "fortunés et généreux" un bref moment de plaisir en échange de 400 $.

Alors que ses parents la croient au centre commercial avec ses amies, Stacey couche avec de vieux vicelards pour leur pognon.

Est-elle une exception? Une sorte de monstre hirsute qu'on expose dans les pages de Newsweek comme une curiosité?

De moins en moins, si on en croit le magazine états-unien qui chiffre à 70 % la hausse de prostitution juvénile provenant des classes sociales de moyennes à élevées. Et le phénomène, non pas concentré aux États-Unis, se répand dans tout l'Occident à une vitesse effarante. De quoi faire frémir n'importe quel parent d'adolescente.

Et si c'était ça, le vrai visage du capitalisme sauvage, de la société de consommation poussée à fond Léon? Celui d'une petite bourgeoise occidentale qui vend son cul pour se payer des fringues alors qu'elle en a déjà plein le garde-robe.

Si nous nous définissons par ce que nous achetons, que la consommation est devenue une fin en soi, faut-il s'étonner que des adolescentes vendent un corps depuis longtemps désacralisé pour bénéficier d'un plus important pouvoir d'achat?

On voudrait ne pas être cynique et ne pas croire qu'il s'agit d'un phénomène qui suit le cours normal des choses. Ne pas se dire qu'on a tellement banalisé le sexe qu'il n'est plus aujourd'hui que l'instrument de la réussite pour une jeunesse désenchantée. Mais comment?

D'un côté, vous avez une société vieillissante, en manque de sensations fortes, convaincue que le fantasme ne relève plus du rêve, mais d'un désir qui DOIT être réalisé dans le concret. De l'autre, vous avez des minettes qui distribuent des pipes comme des baisers soufflés, croyant dur comme fer qu'il n'y a qu'un seul accès au bonheur et qu'il se paie comptant.

Entre les deux, vous avez le fric.

L'idée ressemble à un bal ignoble, une valse autodestructrice qui part en vortex vers les profondeurs du néant sociétal. Ce que Nietzsche aurait appelé l'hédonisme médiocre de l'homme contemporain.

Un mirage. Un fanatisme de l'argent, une religion aussi illusoire que celle qui fait croire aux terroristes de l'islam qu'ils pourront passer l'éternité entourés de jeunes vierges et de brebis.

Par moments, je vous jure, on en vient à se demander laquelle de ces idées est la plus absurde.

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Parlant de cul et de fric, nous vous présentons cette semaine un reportage sur Pornstar Académie, sorte de pied de nez opportuniste à l'orgiaque déversement de télé-réalité que connaît le Québec depuis un an.

Bien qu'étrange et paradoxal, le projet n'est pas pour autant dénué d'intérêt, surtout lorsqu'on l'analyse avec un brin de détachement et un soupçon de second degré.

D'un côté, vous avez de petits nobodys prêts à commettre les pires bassesses pour parvenir au succès dans le show-biz grâce à Star Académie; de l'autre, vous avez à peu près la même chose, mais à poil.

Les corps-marchandises de l'académie du cul ne sont donc pas si éloignés de l'intimité-marchandise des académiciens de la mauvaise musique.

Un rapprochement qui génère un troublant questionnement: est-ce plus obscène de voir Madame X se faire pistonner que de lire sur les déboires sentimentaux des académiciens en page frontispice de toutes les publications à potins de Quebecor Média?

Qu'est-ce qui est pire: un gros plan de son clitoris sur le Net ou une page couverture de Dernière Heure racontant sa plus récente chicane avec son chum?

Entre le corps et l'âme, entre l'intimité génitale et sentimentale, en est-il une qui soit moins sacrée que l'autre?