Desjardins

Arnold et la Terre du Milieu

Toute l'affaire ressemble à une farce. "Le grand cirque" semble être l'expression qu'ont immédiatement consacrée la plupart des médias états-uniens. Et on pourrait difficilement leur donner tort.

Dans la course à la destitution et, le cas échéant, au remplacement de Gray Davis, actuel gouverneur de la Californie, les bizarreries sont légion. Un pornocrate, une columniste baveuse, un ancien commissaire du baseball, une star du porno, un ancien enfant-vedette ruiné et une programmatrice en informatique qui amasse des fonds en vendant des g-strings à son effigie sont parmi les nombreux candidats confirmés.

Une superbe foire dans laquelle quidams et vedettes hollywoodiennes affrontent des politiciens chevronnés dans une lutte pour sauver la Californie du désastre économique. Ne manque que le popcorn, ironisait Time Magazine la semaine dernière. Et à travers la foule, comme sorti de l'écran démesuré d'un monstrueux cinéplex, c'est le massif crâne du Terminator qu'on voit poindre.

Première réaction: on sera évidemment tenté de ridiculiser le gros Schwarzie, de ne voir en ce tas de muscles à l'accent germanique aussi épais que le smog qui recouvre Los Angeles qu'une caricature du rêve américain. Un épais institutionnalisé, un crétin dont l'humour peut se comparer à celui d'un débile léger. Soit, si on ne se fie qu'à ses rôles au cinéma et aux blagues de potache qu'il débite sur les plateaux de télé, ou encore, à de récents commentaires tels que "Say hasta la vista to Gray Davis", tel jugement semble légitime.

Mais si je vous disais qu'Arnold est probablement ce qui pourrait arriver de mieux à la politique états-unienne? Qu'il pourrait à lui seul bouleverser les bases du parti qu'il représente?

Attendez, ne riez pas tout de suite. Car derrière Arnold le républicain, il y a sa femme, Maria Shriver, la journaliste chevronnée et fille du clan Kennedy, donc démocrate. Son père, Sargent, se vante d'ailleurs d'avoir contribué à forger la pensée politique de son colossal gendre.

Le résultat, bien qu'il demeure nébuleux puisque la plate-forme électorale de Schwarzenegger n'est pas encore connue, est surprenant. Républicain modéré, sorte d'extraterrestre dans l'actuelle politique moralistico-mystique que prône l'administration Bush et sa troupe de chrétiens repentants, l'Autrichien d'origine s'affirme prochoix, pour le contrôle des armes, défend l'environnement (même s'il possède une flotte de Hummers, mais bon…) et l'adoption chez les couples de même sexe en plus d'afficher une position franchement libérale (au sens états-unien du terme) à propos d'une pléthore de sujets à caractère social.

Plus honnête que Clinton et Bush lorsque vient le temps de discuter de son passé – de culturiste (il avoue candidement avoir usé de stéroïdes…) et d'hédoniste (… et aussi d'avoir fumé du pot, qu'il inhalait) -, le "jumeau" de Dany Devito apparaît comme imperméable au jeu de faux-semblants qui régit la politique actuelle.

C'est d'ailleurs à cette franchise et à ses visées libérales que s'attaquent déjà les fondamentalistes de droite, alléguant que Schwarzie n'est pas un "vrai" conservateur.

"Ç'aurait été mieux s'il avait vraiment remporté l'élection", aurait aussi dit l'acteur dans une entrevue accordée au webzine Salon.com à propos de George W. Bush, quelques mois après avoir affirmé, devant la tournure que prenait l'affaire du MonicaGate, qu'il s'était "senti profondément honteux d'être un républicain".

Reste à savoir ce qu'il pense de la douteuse – sinon frauduleuse – stratégie du parti pour évincer le démocrate Davis du poste de gouverneur… Mais gageons qu'il ne poussera pas l'audace jusque-là.

Car, à quelques mois du scrutin, et malgré ces écarts de conduite, le débat divise la Maison-Blanche: faut-il soutenir la seule vraie chance en 15 ans de conquérir la Californie lors de la prochaine élection présidentielle, ou doit-on couler Arnold pour mieux rester dans le giron de la très puissante droite chrétienne?

Un moment d'hésitation qui fait plaisir à voir pour tous ceux qui croient qu'État et Église devraient évoluer en parallèle.

Et si ce n'était que pour ce possible bouleversement de trop profondes convictions qui confèrent au gouvernement états-unien cette odeur rance et ce profil de regroupement fanatique, la venue de Schwarzenegger dans l'arène politique n'en vaudrait-elle pas la peine?