Desjardins

Le grand escL’Allier

"Quand j'ai compris que j'faisais
Un très, très grand détour
Pour aboutir seul dans un escalier (…)"
– Paul Piché
Plus les fêtes du 400e anniversaire de la ville de Québec approchent, plus les dépêches absurdes s'accumulent.

Un plan d'ensemble? Une idée directrice? Pour l'instant: rien, nada, zilch! Sauf peut-être l'assainissement de la rivière Saint-Charles.

Mais pour les trouvailles débiles, on est déjà amplement servis.

Un grandiose escalier reliant la haute à la basse-ville, préférablement payé par l'Élysée; une étape du Tour de France qui soulève déjà l'ire des principaux intéressés: des coureurs cyclistes qui auront probablement du mal à faire passer leurs pilules aux douanes… Et puis quoi encore?

Si on se fie à ces seuls éléments connus du programme, jusqu'à maintenant, on se prépare pour un beau spectacle de colonisés. Parce que c'est exactement ce que ces projets reflètent: l'idée d'un Québec inféodé à la culture française.

Non mais, tant qu'à faire, on pourrait peut-être rayer les festivités de la Saint-Jean-Baptiste du calendrier, juste pour cette année-là, leur substituant le 14 juillet, invitant Nagui à la place de Normand Brathwaite pour animer le grand spectacle des Plaines. On pourrait y voir et y entendre Jean-Jacques Goldman, Charles Aznavour (s'il toffe jusque-là), Renaud et Florent Pagny. Et tiens, pourquoi pas un show payant de Johnny Hallyday au Colisée Pepsi-Perrier-Unibroue-Ricard avec ça? Mais bon, je délire un peu, là…

Par contre, on a véritablement l'impression que L'Allier cherche à offrir à la France une manière de se racheter et à faire oublier que c'est sous l'égide du gouvernement britannique qu'a été célébré le 300e.

Comme si mettre de l'avant l'idée d'une culture unilatéralement héritée de France allait faire s'effacer le souvenir de l'autre colonisateur; une amnésie collective gommant des mémoires les réminiscences d'un Empire de l'Hexagone baissant les bras en Amérique, nous laissant nous colleter pour les siècles à venir avec un interlocuteur aussi sourd que bavard, de Durham à Dion.

C'est tellement ridicule qu'on en viendra nous aussi à invoquer l'esprit de fantômes historiques en appelant aux cieux, désespérés: "Reviens, Champlain, ils sont tous devenus fous"!

Remarquez, ce qui est vraiment gênant dans cette histoire, c'est qu'on ait à mendier au gouvernement français pour obtenir ce monument. Une patente à gosse dont la symbolique est par ailleurs frappante: un lien entre le plus vieux et le plus "récent" des beaux quartiers de Québec, un accès direct pour les touristes et les gens de la haute à la plus grande fierté de notre maire: Saint-Roch. Un monument à sa propre gloire auquel ne manquerait que le buste d'un poète russe en surplomb. Et cette fois, l'ironie est bien dosée.

J'ai toujours pensé que Jean-Paul L'Allier était un visionnaire, mais je commence à sérieusement douter de ma perception du bonhomme. Aurais-je confondu vision et mégalomanie? L'Allier nous dévoile-t-il par cette francophilie exacerbée qu'il aurait préféré avoir l'ancien poste de son ami Chirac, à la tête de Paris, et que la mairie de Québec n'est pour lui qu'un prix de consolation s'en rapprochant le plus possible? Que voulez-vous, on ne choisit pas où l'on naît.

Puis, imaginez seulement une seconde que les Français acceptent de payer, mais imposent leurs créateurs pour l'érection de cet escalier… Ceux que cela enchante m'excuseront peut-être de leur rappeler le monument offert à Québec pour son 375e anniversaire par la France: le Rubic Machin laiteux de la place de Paris. Une horreur patentée.

Imaginez finalement ce grand escalier en tuiles blanches qui dirait: Bienvenue à Québec-de-la-honte! Cette ville qui rampe et fait de grands détours jusqu'à l'Élysée pour se bâtir une volée de marches.

Un symbole immobile pour un événement pensé, coordonné, conçu et animé par Jean-Paul L'Allier, vraisemblablement simple citoyen d'ici là, mais pas peu fier d'un lègue concrétisant des fantasmes qui ne satisferont que lui-même.

D'ailleurs, parlant de honte et de mendicité, ça me rappelle une conversation avec des amis l'autre soir. Nous nous demandions le plus sérieusement du monde: comment se fait-il qu'on aperçoive de moins en moins de quêteux à Québec? Chers copains, j'ai enfin trouvé la réponse: ils se terrent tous à l'hôtel de ville.