Desjardins

Futur simple

Voudriez-vous connaître l'avenir? Allez, pas de mensonge. De toute manière, je n'en croirais rien.

Tout le monde veut savoir ce qui adviendra. Regardez Martha Stewart pour vous rendre compte de ce qu'il en coûte parfois…

Ou encore, consultez l'étal des marchands de journaux qui, cette semaine, par une imprévisible (ha!) coïncidence, proposent quelques titres abordant le sujet, dont Time et L'Actualité qui y consacrent tous deux leur page frontispice.

Le premier introduit d'ailleurs son volumineux dossier par un fabuleux article sur les chasseurs de modes. À la fine pointe de la modernité, utilisant tous les gadgets possibles (Internet, messagerie instantanée, téléphones portables, etc.), ces gourous de la nouvelle bebelle disposent d'un réseau tentaculaire comptant parfois des dizaines de milliers d'adhérents pour savoir, par exemple, quel vocable les "jeunes" préfèrent dans la liste fournie par un fabricant de parfum qui s'apprête à lancer un nouveau produit. Des focus groups dont la population surpasse celle d'une banlieue comme Cap-Rouge et qui, grâce à leurs réseaux, fournissent en quelques minutes des réponses concluantes. Pour ce type d'informations, les plus importantes corporations du monde paient des millions de dollars chaque année.

Car aussi incertains soient le futur et, pire, les prédictions qu'on en fait, le métier d'oracle est aujourd'hui aussi important – sinon plus – qu'à l'époque où la pythie éviscérait des bebittes dans sa caverne.

Pour autre preuve, le responsable de la page d'astrologie d'un grand quotidien de Londres a récemment refusé un salaire de plus de 4 M$ annuellement, puisqu'on lui avait proposé un job autre part, évidemment encore mieux rémunéré.

Pas plus con qu'un autre, je me suis dit qu'il devait bien se tramer quelque chose dans ces horoscopes pour qu'un tel nombre d'adeptes justifie la survie d'autant de lignes téléphoniques, sites Internet et chroniques quotidiennes dans les journaux.

Ben quoi! Vous voulez pas savoir, vous, si Jean-Paul L'Allier et François Reny voudront encore me parler après ce que j'ai écrit sur eux, si la recette du poulet du Colonel changera, ou encore si le gouvernement français acceptera de payer pour notre bel escalier?

Alors je m'y suis mis. Mais ça commençait mal. Sur le plan personnel, une première source m'apprenait qu'une passion inattendue pourrait surgir dans ma vie, me poussant peut-être à laisser ma femme pour suivre cette nouvelle flamme. On m'incitait même à la prudence, de peur que je ne prenne une décision irréfléchie. Une pensée attentionnée qui me toucha profondément.

Mais la débandade devait se poursuivre.

Deux autres sources différentes me laissaient quant à elles croire que je devrais sous peu changer d'équipe de travail, ce qui peut signifier deux choses: soit je suis en voie de virer l'ensemble de mon personnel, soit de changer de boulot. De quoi faire trembler tout le bureau! Sadique, je laisse planer le doute.

Atterri par un hasard googlien sur le site Internet de Michèle Perras, j'apprends ensuite que mes chiffres chanceux sont 2-16-26-29-40-35. Étrangement, je réalise qu'il y en a six, et qu'ils sont tous inférieurs à 50. Comme dans 6-49… J'en viens immédiatement à imaginer une conspiration impliquant les astrologues et Loto-Québec, ce qui risque de me valoir un aller simple pour Robert-Giffard ou la première page du Journal de Québec. Des frissons me vrillent l'intérieur.

L'expérience s'avère à ce point terrifiante que je laisse tomber à mi-parcours, me demandant ce que le monde peut bien trouver dans tel ramassis de prédictions aussi déprimantes qu'improbables.

C'est dans le Nouvel Observateur (aussi en kiosque la même semaine!), sous le titre "Pourquoi l'avenir a-t-il cessé de guider nos pas?", que je trouve un semblant de réponse, presque aussi cryptique que mon horoscope.

Si j'en crois l'historien André Burguière, qui signe ce billet, ce n'est pas l'avenir autant que le présent qui nous intéresse désormais. Incidemment, c'est exactement ce que propose l'astrologie au jour le jour: une réponse pour maintenant, pas pour demain, pas pour hier. Et de toute manière, en ce qui concerne le passé, "il ne sert plus à nous montrer la voie (…) on le commémore, on le muséifie, on lui demande pardon, comme s'il fallait l'exorciser pour vivre enfin", écrit l'auteur qui souligne que ce manque de vision périphérique amène au cul-de-sac des idées.

Une impasse déjà atteinte. Nous sommes presque tous des bâtards du XXIe siècle, des schizophrènes à la fois humanistes et sauvagement capitalistes, compatissants et cruels, pacifistes et bellicistes, mondialistes et régionalistes, révolutionnaires et réactionnaires.

Qu'est-ce qui nous attend après cela? En réalité, je suis convaincu que ça vous rassure quand même un peu que personne ne puisse réellement voir l'avenir, car vous avez bien trop peur de savoir ce qui s'y cache. Je me trompe?

Au fait, rassurez-vous, je ne ficherai personne à la porte dans un avenir rapproché, pas plus que je ne quitterai mon boulot… À moins que ce soit moi qu'on vire? Putain, me voilà qui angoisse à mon tour.

Je vous laisse, deux coups de téléphone à passer: un à mon psy et l'autre à mon coach de vie.