Desjardins

À quelle heure on meurt?

Il existe un phénomène en télévision qui s'appelle le vortex de l'information.

Le principe est simple: d'abord, vous prenez ce que fait la concurrence et qui, lors de la dernière saison, vous a coûté quelques parts de marché. Puis, tout le monde en choeur, vous l'imitez maladroitement pour qu'en résulte la multiplication d'une même idée.

Au mieux, la copie s'avère juste aussi ridicule que l'original, sombrant un peu plus bas dans la qualité de l'information pour rejoindre le quatrième sous-sol de l'intellect.

Ainsi, la gravité est au vortex d'eau dans votre évier ce qu'est la quête de cotes d'écoute à la qualité des infos télé.

Dans un papier dangereusement caustique extrait du magazine Vanity Fair, James Wolcott abonde dans le même sens et décrit avec éloquence comment la chaîne MSNBC est parvenue à sombrer encore plus bas que ses rivales Fox News et CNN, errant d'un concept à l'autre pour séduire l'auditoire, faisant preuve d'une totale schizophrénie en présentant des nouvelles de qualité le jour, seulement pour mieux anéantir sa crédibilité sous le poing moralisateur de commentateurs d'extrême droite qui sévissent en soirée.

Comme l'hôte de l'heureusement défunte émission The Savage Nation, Michael Savage, qui, s'adressant à un téléspectateur, tenait les propos suivants: "Oh, vous êtes un de ces sodomites… Vous devriez attraper le sida et mourir, sale porc!"

Heureusement, chez nous, on n'en est pas encore rendus là. Du moins, pas à la télé.

Mais pour ce qui est de piquer une idée et de la récupérer sans succès, là par contre…

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Respectant la règle du vortex, on assiste en fin d'après-midi au pitoyable bal des bulletins de nouvelles allongés sur les trois principales chaînes francophones.

C'est ainsi qu'à TVA, on aura pu assister à une trépidante entrevue réalisée par Claude Charron qui, édifié par le courage d'un résidant de la côte états-unienne qui allait demeurer chez lui lors du passage de l'ouragan, voit son bel échafaudage émotif s'écrouler lorsque son interlocuteur répond à la question "Pourquoi avez-vous décidé de rester?" par: "Parce que ma voiture est tombée en panne."

Autrement inepte, à la SRC, on préfère les nouvelles idiotes, les sorties en plein air et les insupportables tranches de vie. Comme exemples, on aura pu voir Simon Durivage glousser devant Marie-Soleil Michon qui assistait en direct à un énième match d'adieu des Expos, analyser les préférences en matière de repas surgelés du journaliste Maxence Bilodeau et faire l'apologie des pavés unis.

À TQS, c'est au moins aussi pire. Car si on est parvenu à survivre aux tristes jugements de valeurs, à soutenir le regard réprobateur de Jean-Luc Mongrain et à répondre à la question du jour, genre: "Trouvez-vous que vos enfants s'habillent bien?", il faudra, peu avant 18 h, souffrir la performance d'un clone de Dominic Arpin dont la chronique, un concept copié-collé sur celui de l'insoutenable Explorateur urbain, parvient à élever le niveau de médiocrité télévisuelle à un sommet rarement atteint.

Et c'est pas parce qu'on rit que c'est nécessairement drôle.

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Dans l'article de Vanity Fair, James Wolcott hésite à faire un rapprochement entre le manque d'objectivité, l'absence de critique de l'administration Bush, la promotion à peine déguisée de l'effort de guerre républicain fait sur les ondes de MSNBC et les aspirations industrialo-militaires de sa compagnie-soeur: G.E.

Comme lui, je ne crois pas qu'il se trame toujours de machiavéliques desseins derrière ce déversement d'inepties qui inonde les salles de nouvelles, ici comme ailleurs.

Pas plus qu'on cherche sciemment à garder la population dans le noir.

Mais plutôt que derrière toutes ces conneries qu'on nous sert quotidiennement, se révèle le plus simplement la stupidité de programmateurs en mal de cotes d'écoute et dont l'inaptitude à rendre de vraies nouvelles intéressantes contribue à abrutir un peuple qui se nourrit de télé.

Un constat qui est, sinon révoltant, somme toute assez déprimant.