Desjardins

Les armes de distraction massive

Chercher le coupable. Vous aimez ça, non?

Parfois, on a même l'impression que c'est devenu le sport national. Surtout quand les médias s'en mêlent, et d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un phénomène qu'on s'explique mal, qui concerne la génération montante à laquelle, aussi cools se croient-ils, les aînés ne saisissent évidemment rien.

C'est le cas du mouvement hip-hop qui, encore la semaine dernière, défrayait la manchette et se retrouvait au banc des accusés dans le dossier de l'émergence de gangs de rue qui sévissent de Montréal jusqu'à Québec.

Animateur du bulletin de nouvelles: "Comment expliquer cette flambée de violence?"

Journaliste: "On nous dit que le mouvement hip-hop en serait la cause…"

Et paf, affaire classée! La musique est trouvée coupable, nul besoin de chercher plus loin. Méchante analyse, hein?

Remarquez, ça fait bien notre affaire, parce que derrière ce bouc-émissaire se dissimule une vérité qui est proprement insoutenable. Carrément inavouable.

Mais avant de vous l'écraser au visage, relativisons ensemble, si vous le voulez bien.

Vrai: certains artistes rap (tentacule musicale de la culture hip-hop) font l'apologie du crime, de la violence et d'une exécrable misogynie. Par exemple, le récent album du très populaire 50 Cent s'intitule Get Rich or Die Trying. Édifiant, n'est-ce pas? Aussi, on ne compte plus les pochettes d'albums du genre où l'artiste brandit et caresse un gun entre ses mains, pas plus qu'on ne peut dénombrer les paires de foufounes fébriles qui oscillent à la vitesse d'un mélangeur à peinture dans les clips de rap diffusés en boucle à MusiquePlus.

Encore vrai: le rap à tendance gangsta se fait trop souvent le véhicule de notions superficielles se rapportant au cul, à la notoriété et à l'argent. Surtout à l'argent. Puis viennent la dope, les VUS, le champagne, le cognac, les cigares, les chambres avec vue et les putes de luxe quand les rappeurs connaissent le succès convoité et obtiennent le sacro-saint fric.

Aussi, il est intéressant de constater que leur idéal ressemble à s'y méprendre à celui de l'occidental moyen: le cash, les pitounes, les grosses bebelles.

La violence en moins, direz-vous? Allumez donc votre télé, juste pour voir.

Condamner la musique, aussi bête puisse-t-elle nous paraître, c'est donc nous mentir à nous-mêmes. Voir la paille dans l'oeil du voisin en refusant d'apercevoir la poutre qui obstrue le nôtre.

Car la vérité qui fait mal à entendre, c'est que ces gangs d'ici germent le plus souvent dans les mêmes conditions que celles que décrivent les rappeurs: la pauvreté, l'exclusion, la ghettoïsation. Pas dans le Bronx ni East L.A., mais ici, dans les petits quartiers populaires.

Certes, il existe une culture du crime, mais pour se développer et devenir le monstre que sont les gangs de rue, il lui faut se nourrir d'autre chose que de l'attrait de l'interdit ou d'un réducteur désir d'émulation. Il lui faut une nécessité, un besoin: celui d'accéder à une part de la richesse qu'on lui glisse sous le nez à longueur de journée.

Et pour commencer à comprendre, il faut aussi admettre que les minorités ethniques ne l'ont pas aussi facile qu'on le croit dans notre plusse meilleure province. Que la ségrégation existe ici aussi. Qu'elle n'est que plus pernicieuse, cachée, vicieusement dissimulée sous un voile de rectitude politique. Que sous leurs dehors de tolérance, bien des Québécois sont en réalité des racistes inavoués.

Ce qui n'est pas sans contribuer à faire tourner la spirale de la violence, à alimenter une haine autodestructrice, à creuser encore plus profondément un fossé qui, peu à peu, risque de se transformer en tranchée, comme c'est le cas aux États-Unis et en France où on s'entretuait dans les rues bien avant l'explosion populaire du hip-hop.

Ici, nous ne faisons que suivre la tendance, avec le léger retard qui nous caractérise.

Alors, selon vous, et puisqu'il faut en trouver un, qui est le coupable? Vous, moi, leurs parents, l'école, le cinéma, la télé, la musique? Toutes ces réponses et d'autres encore?

Pensez-y aussi longtemps que vous voulez, mais avant d'accuser la musique, souvenez-vous que la culture populaire est le reflet d'une société, pas l'inverse.