Desjardins

Plate

Savez quoi?

J'ai failli vous reparler de télé-réalité cette semaine. Encore?! Ça frise l'obsession, soupirez-vous?

Probable, mais je tenais à vous dire que, comme vous, millions de téléspectateurs qui regardez Loft Story, je me suis trouvé ben fin, brillant, et drôlement moins ennuyant que ces débiles légers qui ont été choisis pour meubler les ondes du mouton noir de l'intellect.

Mais contrairement à vous, ou enfin, à plusieurs d'entre vous, puisque j'ai trouvé ça plate, j'ai éteint le poste.

D'ailleurs, je voudrais bien qu'on m'explique comment un show de télé que tout le monde déteste est regardé par plus d'un million de personnes chaque jour. Parce que j'en ai rencontré des gens qui aimaient Star Académie; z'ont acheté le disque, s'interrogeaient à savoir si c'était arrangé, si c'était la petite gênée ou le mignon Néo-Brunswickois qui allait gagner. Mais personne pour me dire qu'ils aiment Loft Story. "C'est dull, il se passe rien", ai-je entendu de la bouche de gens qui l'écoutent religieusement. Ce qui défie l'entendement.

Déjà, j'avais des doutes concernant les tendances masochistes des Québécois, mais là c'est confirmé: nous aimons souffrir. Surtout si on peut en discuter avec les collègues du bureau le lendemain.

Alors, je vous disais que j'avais finalement choisi un autre sujet que ça, ce qui n'est qu'à moitié vrai.

Parce que la télé-médiocrité est au coeur d'un phénomène qui afflige le Québec depuis un moment: l'ordinaire porté aux nues, la normalité auréolée, la platitude du quotidien enluminée.

Comme chez les humoristes qui ne parlent plus que de leur blonde, de leur père, de leur testicule gauche ou de leur char. Comme dans les téléromans qui présentent des personnages contemporains sans fantaisie, qui vivent des drames communs, à saveur de sucre à la crème, auxquels monsieur et madame Tout-le-monde peut s'identifier sans peine. Comme quand vient le Salon du livre et qu'on n'en a que pour Marie Laberge et Guy Corneau. Comme les bulletins de nouvelles qui se consacrent à "ce qui VOUS concerne".

Les politiciens, out! Les personnages historiques, bye-bye! Les religions, bof!

Les gens qui détiennent le pouvoir, les entreprises qui fourrent le monde, les espèces éteintes, l'Islam, les pétroliers qui coulent, les crosses monumentales à l'échelle de la planète: plus personne n'en veut, ou si peu. Pas même pour en rire à défaut d'en pleurer.

On s'en sacre. On a baissé les bras, on n'y peut plus rien, le cynisme nous a enfoncés dans la réalité plate et morne.

Même qu'à force de s'épancher sur la poésie du quotidien, on dirait qu'on a fini par en retirer toute poésie pour que ne reste finalement que l'ennui des longs jours.

D'ailleurs, Loft Story, est-ce autre chose que cette morosité sublimée dans celle de tristes concurrents?

***

En réfléchissant à l'ampleur du phénomène, j'ai repensé à la phrase de Bernard Landry dans le désormais célèbre documentaire À hauteur d'homme: "Le peuple ne se trompe jamais."

Je dois vous dire qu'à observer le cours du monde, je serais plutôt tenté de penser le contraire, à savoir que le peuple se trompe tout le temps. Et que plutôt que de se pencher sur nos erreurs, nous préférons bâiller aux corneilles en regardant des quidams s'enfarger dans les fleurs d'un tapis payé par Guy Cloutier.

Au fait, monsieur Landry, j'ai lu que vous voudriez d'un autre référendum dans cinq ans?

Bonne chance. Car comme vous le savez peut-être, nous n'aimons plus les débats, nous ne voulons plus de déchirantes questions; que du pré-mâché et des baisses d'impôts.

Et puisque Jean Charest est aussi plate et prévisible qu'un concurrent du loft à Guy, on ne risque pas de s'en lasser de sitôt.