Desjardins

La dictature des apparences

"Qu'un prince, donc, fasse en sorte de vaincre et de maintenir l'État: les moyens seront toujours jugés honorables et loués d'un chacun; car le vulgaire se trouve toujours pris par les apparences et par l'issue de la chose; et dans le monde, il n'y a que le vulgaire."

– Machiavel, Le Prince

Depuis plusieurs jours, je me demande à qui profite vraiment le flou "artistique" qui règne autour de l'Opération Scorpion depuis un an.

À André Arthur et Jeff Fillion? Au Journal de Québec? Au Soleil, qui condamne les démagogues qui condamnent Le Soleil? À Mario Dumont, cet infect opportuniste qui y voit l'occasion de se faire du capital politique? À TQS, qui y a affecté un journaliste à plein temps? À TVA, qui a dépêché notre Claude Charron national pour faire toute la lumière sur cette histoire? À l'auteur de cette chronique consacrée pour une troisième fois cette année à ce qui s'annonce comme un monumental fiasco surmédiatisé?

Et s'il profitait simplement à tous ceux qui peuvent tirer parti de l'impression d'injustice qui entoure cette affaire?

Une impression qui n'a que faire du manque de preuves, puisqu'elle s'appuie sur les sacro-saintes apparences. Des apparences qui, doit-on le rappeler, sont cependant accablantes étant donné la trop longue liste de questions restées sans réponse satisfaisante.

Est-ce que notre bonne grosse police s'est astiqué le badge un peu trop vite en annonçant une seconde vague d'arrestations plus ou moins décevante ou est-ce que des politiciens se sont mêlés de l'affaire, mettant un terme à l'enquête? Pourquoi Jean-Paul L'Allier a-t-il gardé le silence jusqu'à ce que les rumeurs cognent à la porte de sa chambre? Pourquoi le ministre Bellemare refuse-t-il obstinément de fouiller plus profondément dans cette entreprise interlope dont les acteurs continuent d'opérer, même depuis le centre de détention où ils sont censés croupir, et non s'enrichir?

Autant d'interrogations qui mènent à l'indignation, accélérant la déclaration de faillite de la justice face à la lynch mob de citoyens qui est en train de s'organiser, aux dépens des politiciens qui seront vite écrasés sous l'impitoyable roue de l'opinion publique.

Pôvres politiciens, vous avez négligé de réfléchir à l'ampleur que prendrait cette affaire, vous avez drôlement dormi au gaz. Vous avez pensé que le système prévaudrait? Vous aviez tort, puisque désormais, peu importe le résultat du procès, la population gardera l'amère impression d'avoir été flouée. Par vous!

Mais bon, puisque certains lecteurs me reprochent de ne pas proposer de solution aux situations que je dénonce, je me suis forcé d'y réfléchir cette fois-ci. Et je crois avoir trouvé un plan génial. Le genre de gimmick ultra-cynique qui me vaudra peut-être d'aller bosser avec Karl Rove, le spin doctor de George W. Bush, ou même de prendre la place d'un des présumés clients du réseau au sein de la firme National, qui sait…

Le truc est simple mais retors au possible. D'abord, vous réactivez Scorpion. Vous en faites une escouade permanente, un nouveau Carcajou. Montrez que votre lutte à l'exploitation des enfants sera sans merci. Annoncez que vous travaillerez en collaboration avec la police de Montréal et la SQ, la GRC, le FBI, Interpol et tout le bataclan. Que ce soit vrai ou pas n'a aucune importance.

Sortez l'artillerie lourde.

Montrez vos nouveaux détectives à la tivi, rasez-leur la moustache, et choisissez-en qui ont l'air à la fois brillant et menaçant, du genre qui malmène les accusés sans laisser de traces. Organisez des conférences de presse, montrez-nous des arrestations en boucle pour quelques mois.

Investissez dans la justice pour nous faire croire qu'elle n'est pas en faillite. Refaites son montage financier. Allongez-lui le bras.

Même si vous, vous n'y croyez pas vraiment, que vous êtes convaincu qu'on ne peut mettre fin à ce fléau aussi vieux que le monde, ben au moins, vous ferez taire vos détracteurs en sauvant les apparences.

Et en politique, comme partout ailleurs, l'image, c'est tout ce qui compte, non?

Sur ce, j'attends vos chèques.