Desjardins

Sots! Sots! Sots!

Impossible de s'élever contre la vertu.

C'est peut-être ce qui explique qu'il est presque impensable de s'indigner publiquement des dérapages du syndicalisme québécois.

Aussi, on risquerait de voir nos propres corps se putréfier en attendant que le mouvement fasse son propre examen de conscience. Car au sein de la gauche, il n'existe aucun paria, pas d'ennemi. Si tout le monde vise le bonheur collectif, alors autant éviter les inimitiés internes sur le chemin du nirvana terrestre.

Vous portez un drapeau soviétique et criez "Vive Staline! " dans une manif pour le logement social? Ne vous attendez même pas à ce que les autres participants vous rabrouent. Ou s'ils le font, la réprimande sera si timide qu'elle ressemblera plutôt à une sorte d'accord tacite. À une accolade de coulisses en faveur du mouvement, quitte à ce que cette association silencieuse se fasse au détriment des idées.

Et c'est exactement ce qui se produit avec le mouvement syndicaliste: on a laissé des organisations a priori vertueuses sombrer dans la même démagogie que celles qu'elles dénoncent, laissant ainsi libre cours aux activités d'extrémistes qui croient encore que saccager les locaux d'un hôpital et les bureaux d'un politicien est un droit acquis, protégé par le Code du travail.

Désormais, ce ne sont plus les tenants de la droite qui traînent les syndicats dans la boue: ils le font eux-mêmes.

Pourtant, "les syndicats restent parmi les seuls groupes bien organisés au Québec à promouvoir d'autres valeurs que celles du capitalisme sauvage. Ils sont encore capables de mobiliser leurs membres pour ou contre des causes importantes comme c'est présentement le cas avec le projet de loi 31, qui vise à assouplir l'article 45 du Code du travail", me rappelait un lecteur cette semaine, au regard des velléités d'ouverture à la sous-traitance du gouvernement Charest.

Remarquez, moi non plus, je ne suis pas contre la vertu. Quand j'entends un syndiqué s'indigner en criant que "la pauvreté ne se partage pas", que "c'est la richesse qui se partage", je me sentirais drôlement salaud de lui donner tort.

Même chose pour vous, non?

Mais essayez seulement de questionner certaines pratiques syndicales douteuses et vous verrez ce qui vous attend: l'opprobre.

Car il ne s'agit plus d'un mouvement, mais d'une religion.

On y tient d'ailleurs un discours manichéen du même genre que celui d'intégristes: vous êtes avec ou contre nous. Et c'est exactement ce qui risque de mener le mouvement à sa perte. Puisqu'en refusant obstinément d'ouvrir le dialogue avec ceux qu'ils ne manquent pas de démoniser, les désignant comme des "anti-syndicalistes primaires", ils prennent eux-mêmes le versant de la pénible agonie.

"L'adaptation ou la mort" est une notion darwiniste qui ne s'applique pas qu'aux entreprises ou qu'aux espèces animales, elle s'applique aussi à certaines idées.

Ainsi, en cautionnant plus ou moins tacitement les actes de vandalisme et la violence de certains manifestants protégés par les articles 10 à 15 du Code, les centrales syndicales, encore aveuglées par leur petit catéchisme vermoulu, feront connaître des jours sombres aux travailleurs qu'elles souhaitent pourtant défendre, en théorie.

Car non seulement les syndicats auront-ils achevé de descendre au 76e sous-sol de l'opinion publique, mais ils auront aussi perdu le respect de la génération qui pointe son nez dans le milieu du travail, déjà dégoûtée par de nombreuses pratiques qui visent non pas à assurer la pérennité du bien commun, mais la sécurité de ceux qui sont en place. On n'a qu'à penser aux clauses "orphelin" qui émaillent encore plusieurs conventions collectives pour s'en convaincre.

Une autre tactique écoeurante qui, à certains égards, ressemble dangereusement à ce que les syndicats dénonçaient à l'origine, non?

Mais oserais-je prédire la fin du syndicalisme au Québec que vous me traiteriez de mongol. Et je vous comprendrais, puisque chez nous, plus du tiers des travailleurs adhèrent – bon gré mal gré – à un syndicat, quel qu'il soit.

Quoique, au fait, ne se moquait-on pas aussi de ceux qui, il y a seulement quelques années, prévoyaient pour des raisons analogues le déclin de la religion organisée au Québec?