Desjardins

Les avaleurs de couleuvres

Il paraît que vous êtes déçus.

Dépités que Patapouf Charest ne respecte pas toutes ses promesses électorales.

Je vous jure, des fois, je me demande si vous n'êtes pas un peu cons. Ben quoi!? Malgré toutes ces années d'expérience à vous faire passer un sapin par les politiciens, accumulant avec nostalgie tous vos rêves brisés dans un vieux sac de billes, compilant dans l'amertume des dizaines et des dizaines de promesses sans lendemain, vous y croyez encore.

C'est pas de l'espoir, ça, c'est de l'aveuglement.

Comme si en changeant de gouvernement, une métamorphose allait s'opérer, la fonction publique se départir de tous ses poids morts, les impôts s'écraser comme un Messerschmitt atteint par une rafale de DCA, Sainte-Foy, Cap-Rouge et l'Ancienne-Lorette renaître de leurs cendres, alors que partout dans le brasier à peine éteint des fusions forcées fleuriraient les pâquerettes. Même en décembre.

À croire que vous êtes plus crédules que ces pauvres filles qui pleurent tout leur saoul, dévastées de s'apercevoir que le type qui prétendait les aimer dès le premier soir a fichu le camp avant l'aube.

En fait, vous êtes pires que les enfants qui croient au père Noël.

Car, à leur décharge, on peut dire qu'eux, au moins, n'ont pas cent fois pu constater la preuve du contraire.

Alors au risque de paraître méprisant envers les éternels "déçus", je me suis dit qu'il serait peut-être envisageable d'appliquer certaines techniques pédagogiques en vogue dans les écoles, ceci pour que vous compreniez enfin la véritable nature de la politique et des campagnes électorales.

Parmi ces techniques, j'ai choisi celle de l'ancrage, dont j'ai récemment appris l'existence dans les journaux, n'étant moi-même pas encore père d'une ribambelle de cobayes du système d'éducation. J'en retranscris ici les fondements qui font appel aux cinq sens afin de mémoriser de "nouveaux mots", suivant un procédé de programmation neurolinguistique, tel que proposé par France Lafleur, directrice de l'Association des orthopédagogues du Québec:

Visuel: encercler les mots importants, les recopier, les écrire en couleur et les voir affichés sur un mur.

Auditif: réciter les mots sous forme de chansons ou de rimes, les étudier en écoutant de la musique et les répéter à voix haute.

Kinesthésique: faire déplacer l'enfant pendant qu'il récite des mots, utiliser des guides d'écriture doux et agréables pour les doigts, s'asseoir dans un fauteuil confortable pour les apprendre.

Olfactif: utiliser les arômes préférés de l'enfant dans la pièce où il travaille, utiliser des crayons-feutres à odeur de fruit.

Gustatif: manger une collation en étudiant.

Si j'ai bien compris, il faudrait alors vous faire recopier cent fois le mot comédie, encercler tous les synonymes de séduction, écrire en vert lime la définition de compromis et griffonner le verbe douter partout sur vos murs, comme une sorte de tapisserie issue de l'imaginaire de Christopher Nolan, le réalisateur du film Memento.

On conseillera aussi, pour les auditifs, de faire jouer Rage Against the Machine, Léo Ferré, Tryö, Billy Bragg, les Vulgaires Machins, Woody Guthrie ou Les Cowboys Fringants en boucle pendant la prochaine campagne électorale, et pourquoi pas d'en chanter les textes à voix haute pour être certains que vous n'en faites pas qu'une écoute passive.

Aussi, à ceux qui doivent souffrir physiquement afin que la sagesse fasse enfin son nid, on pourra suggérer de planter un clou à travers une de leurs chaussures, et ce, jusqu'à ce qu'il atteigne le plancher, puis de tourner en rond en réfléchissant au sens de ce geste… Ou encore pourraient-ils se frotter du papier de verre sur le visage pendant le débat des chefs. Nous appellerons ça un exfoliant de la pensée.

Enfin, en ce qui concerne l'olfactif et le gustatif, je m'abstiendrai de m'étendre sur ces deux sens qui, vous l'aurez peut-être présagé, laissent bien trop de latitude à mon imagination puérile qui s'égarerait avec une aisance malsaine dans la scatologie et les blagues de taverne…

Quoique parlant de la symbolique des tavernes, l'idée d'ingurgiter tout rond des langues de porc marinées dans le vinaigre me semble plutôt efficace.

Et ne venez pas me dire que ça vous écoeure, surtout si vous êtes suffisamment naïfs pour croire aux promesses électorales. Car entre ça et les couleuvres qu'on vous fait déjà avaler tous les quatre ans, je me demande bien ce qui est le plus répugnant.