Desjardins

Darth Charest

Expliquez-moi, parce je ne comprends pas.

Comment le doux frisé a-t-il pu devenir le machiavélique chef que nous découvrons ces jours-ci? L'avez-vous vu: arrogant, sûr de lui, repoussant les journalistes du revers de la main? On dirait qu'il flotte à quelques centimètres au-dessus des planchers cirés du parlement, alors que de sa coiffure, autrefois source de railleries, commence à poindre un relief biscornu.

Hier soir, en l'observant palabrer avec assurance au Téléjournal, je me suis dit: "Ça y est, il est passé du côté obscur de la Force!"

Un peu comme dans la nouvelle – et ô combien barbante – trilogie inachevée de George Lucas où un petit homme frêle, apparemment inoffensif, devient chevalier Jedi pour ensuite joindre les rangs de l'Empire du mal, et en devenir le boss.

Le bâillon qu'impose le gouvernement Charest nous ramène d'ailleurs à cette scène de la rencontre de Darth Vader avec ses généraux, dans l'épisode IV – issu de la vieille et désormais mythique trilogie: quiconque tentera de le dissuader d'utiliser la force dévastatrice du Rayon de la mort – lire l'assouplissement de l'article 45 – sera condamné au mutisme, à l'étranglement virtuel.

Et il y a de quoi donner à ses adversaires l'envie de gueuler, car le Rayon de la mort de Jean Charest fesse fort. Il n'anéantit peut-être pas une planète entière en quelques secondes, mais il a divisé le Québec presque aussi rapidement. En un instant, il a polarisé l'opinion publique presque aussi violemment que le ferait la question nationale. Ce qui est une sorte d'exploit un peu sordide.

Et quoi qu'on pense de ses projets de lois touchant au monde du travail, on ne peut s'empêcher d'y voir des manières brutales, qui s'apparentent pourtant aux méthodes d'Obiwan Landry en matière de fusions forcées. Ces mêmes méthodes "antidémocratiques" que Darth Charest décriait lui-même haut et fort lors de la récente campagne électorale. Discours que l'opposition a glorieusement repris à son compte ces jours-ci. Comme quoi personne n'est à l'abri du côté obscur… ni du ridicule.

Mais le génie malveillant de Charest ne tient pas qu'à son fameux Rayon de la mort. Il tient aussi au mystère qu'il laisse planer sur la réingénierie de l'État.

Un plan pour le moins nébuleux, dans une galaxie trop près de chez nous.

Or, chez les libéraux, les termites des coupures budgétaires semblent s'activer plus ou moins vainement depuis quelques mois, cherchant où grignoter les dizaines – ou plutôt les centaines – de millions qui manquent à l'État pour "arriver". Alors, où en sont-elles? Comment s'articulera cette refonte? Où compte-t-on conserver le système tel qu'il est, et que compte-t-on sabrer au final? Combien la sous-traitance peut-elle VRAIMENT nous faire économiser? Bref, tout ce chambardement en vaut-il la peine?

Et si Darth Charest s'apprêtait à diviser le Québec pour des économies de bouts de chandelles? Ou pire, improvise-t-il bêtement? On n'en sait rien.

La véritable menace, c'est donc l'inconnu. La variable indéfinie.

On sera d'ailleurs tenté d'y voir le pire crime qu'ait commis le premier ministre depuis son élection, ou encore son plus habile subterfuge, si on se réfugie dans les théories de conspiration: changer le visage de la province en n'ayant pas – ou en ne dévoilant pas – de vision précise du profil qu'il souhaite lui donner.

Alors, s'il faut s'insurger, ce sera avant toute chose pour qu'on nous expose enfin les aboutissants de cette réforme fantomatique. Car il faudrait bien savoir à quoi on a vraiment affaire. Puis que Charest et consorts aient à tout le moins le courage de dévoiler la destination finale de leur vaisseau néolibéral, qui vient tout juste de passer en vitesse hyperespace.

Parce qu'on ne nage pas en pleine science-fiction hollywoodienne ici. Tout est bien réel.

Sauf qu'on a affaire à un scénario bancal qui, pour le moment, ne promet qu'une fin pitoyable.