Desjardins

Madame Machin

"Est-ce que c'est vous qui écrivez dans Voir? "

La dame qui m'intimait de décliner ma véritable identité devait avoir dans les 50 ans. La tête enveloppée dans un ostentatoire carré de soie Hermès passé de mode, elle se tenait derrière moi, face au comptoir d'une librairie de la rue Saint-Joseph. Elle m'avait sans doute entendu prononcer mon nom alors que je réclamais ma commande.

Voilà bien le genre de contrôle auquel je réponds désormais avec la plus grande prudence. Comprenez-moi, avec le genre d'infamies que je débite hebdomadairement dans cette chronique depuis maintenant un an, j'ai développé une légère paranoïa. Un coup de sacoche est si vite arrivé.

Mais Madame Machin avait l'air plutôt contente de me rencontrer. Peut-être même trop.

"J'aime beaucoup ça, votre billet, reprit-elle en se tortillant après que je lui aie confirmé mon identité, mais… Ben, je trouve que vous vous plaignez tout le temps, et j'aimerais savoir ce que vous aimez aussi… Et puis je vous imaginais plus vieux", conclut-elle en réprimant à moitié un sourire inquisiteur, nimbé de rouge à lèvres sang-de-bouf. Le sac de livres à la main, ma transaction approuvée par la petite boîte noire, je lui rendis son sourire, m'excusai en la remerciant, et me sauvai, presque en courant. Une fois encore, je pouvais constater que mon charme suranné opérait toujours aussi efficacement chez les femmes d'âge mûr… Damnation!

Si je n'avais pas été aussi inhibé par la gêne que m'avait inspirée son demi-compliment, j'aurais sans doute répondu à Madame Machin que j'aime tout plein de trucs. Y compris vous. Pour vrai. Oui, oui, je sais que je vous ai parfois malmenés, que vous avez par moments senti que j'insultais votre intelligence. Il n'en est rien. Je vous agite, je vous niaise, j'essaye de vous faire rire, de vous mettre en crisse avec mes airs d'éléphant dans un magasin de porcelaine.

Une posture qui m'a valu un nombre croissant de détracteurs et de supporters, mais qui m'a surtout, à mon grand bonheur, permis de vérifier à qui j'avais affaire.

D'ailleurs, puisque je verse dans le témoignage et l'impudeur, je dois vous avouer qu'après avoir écrit, au lendemain du gala de l'ADISQ, que la musique pouvait receler d'autres vertus que celles plutôt mercantiles que l'industrie préfère lui prêter, vos réponses m'ont profondément touché. Des coups de fil, des messages d'une humanité désarmante, tel que celui de Philippe, qui disait: "Les trois dernières phrases de ton texte m'ont poussé à vouloir t'offrir mon dernier disque. Tes mots m'ont fait oublier ces questions stupides, loin de l'élan de la création: "Est-ce que tu vis de ta musique, bla bla bla ?" Oui, car c'est elle qui me tient en vie!"

Wow! Que voulez-vous de plus? Et puis son disque est plutôt bon, je vous en reparlerai peut-être.

Mais "sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloges flatteurs", disait Beaumarchais. Une liberté que vous prenez à bras raccourcis.

Et c'est tant mieux.

Surtout que dans notre beau Québec de 50-50 où le consensus s'est développé par souci de rectitude politique, pour éviter les chicanes de famille, par peur de la confrontation, on n'écrit pas des chroniques que pour plaire.

Aussi, certains d'entre vous m'ont mené de chaudes luttes. Comme Steeve, qui n'en manque pas une, me félicitant rarement, remettant plutôt en cause mes positions, me repoussant parfois jusque dans mes derniers retranchements. Ou encore l'excellent Yves Bergeron qui, par le biais de notre site Internet, fait preuve d'un sens de la rhétorique pour le moins calibré, me traînant dans la bouette dès que je m'adonne au go-gauche bashing ou que je sombre dans le cynisme. "Il est dangereux d'inciter les gens à tourner le dos à la politique en l'identifiant à ce qu'en font les politiciens traditionnels comme le fait monsieur Desjardins", mettait-il en garde, une semaine après m'avoir accusé de "tirer tout croche" lorsque je mettais en doute l'intégrité de certains syndicats.

Puis il y eut cette charmante dame qui n'avait guère apprécié mes vilains commentaires à l'égard du désormais cardinalisé Marc Ouellet, et qui, pendant de longues minutes, avait tenté avec toute la diplomatie dont elle semblait capable de m'évangéliser. Tâche impossible s'il en est.

Alors vous voyez, Madame Machin, je suis capable d'en prendre. J'aime même mes détracteurs, sans doute un paradoxal relent de tradition judéo-chrétienne.

Surtout, je ne vais pas commencer à me défendre puisque de toute manière, comme le disait encore le très suffisant Beaumarchais: "Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort."