Desjardins

Une tempête,
un verre d’eau,
une cerise et un chien

Ma femme est née à Toronto et y a passé le plus clair de son enfance. Vous devinez que ce n'est pas le genre de tare culturelle dont on se débarrasse comme on le souhaite.

D'ailleurs, elle en a conservé de douloureux stigmates. Des caractéristiques toutes particulières que je m'empresse, chaque fois que cela m'est humainement possible, de lui rappeler. Pas de ma faute, je suis comme ça: bêtement méchant.

Elle lorgne une jupe beige: et vlan! Elle s'endort dans un party alors qu'il n'est pas tout à fait minuit: encore! Je la surprends à regarder un atroce soap que même les Canadiens anglais n'osent pas syntoniser: dans les dents! Pis encore, elle rit des lénifiantes blagues d'anglos dans The Royal Canadian Air Farce à la CBC: alors là, elle a droit à la totale!

Chaque fois, elle me toise d'un regard à demi amusé, à demi exaspéré. La même douce récrimination revient lorsque nous parlons de musique, par exemple, et que je vomis allègrement sur ses groupes favoris au temps où elle était adolescente, et qu'elle continue d'aimer secrètement. Voilà la réaction de quelqu'un qui comprend le sens du mot futile.

Pourquoi je vous raconte tout ça? Simplement pour vous signifier que si nous avions la même assurance et que s'il nous restait un tout petit peu de ce sens de l'humour qu'a remplacé la paranoïa, c'est à peu près la même réaction qu'auraient dû provoquer chez nous les élans francophobes de Triumph, la marionnette canine de Conan O'Brien, et de Don Cherry, le clown burlesque du hockey: un regard faussement mauvais.

Ouhhhh! Le gros chien nous a traités de moumounes et le petit, de tarés. Et puis après? Vous êtes vraiment choqués? Vous y voyez encore une dérive de la liberté de parole?

Outre le fait que c'est avec notre argent qu'ils ont pu tous deux s'adonner au Québécois-bashing (Cherry sévit sur les ondes de la télé d'État et O'Brien bénéficiait d'une "subvention" d'un million de dollars pour faire son show à Toronto), il n'y a rien d'offensant là, ou si peu.

À moins que notre sens de l'indignation soit complètement disloqué. Ce qui ferait qu'on s'en prend plus sauvagement à des clowns fantasques qu'à nos politiciens véreux, par exemple.

Entre vous et moi, ne trouvez-vous pas plus insultante la déclaration d'un Stéphane Dion – père de la loi sur la clarté – qui, pour se bâtir du capital de sympathie au Québec, nous affirme sans rire qu'il avait tenté de freiner les ardeurs de Jean Chrétien dans le dossier des bourses du millénaire? Ou celle de Paul Martin qui attribue le récent scandale des commandites à quelques fonctionnaires sympathiques au parti?

N'êtes-vous pas carrément dégoûtés par les manipulations des grands empires canadiens et québécois, amis du pouvoir, qui font abroger les lois ou qui les contournent pour éviter de payer des milliards de dollars en impôts, alourdissant ainsi le fardeau fiscal du citoyen moyen comme vous et moi?

Bien sûr que si.

Alors, que faisons-nous pour protester? Mettons-nous leurs gueules en première page du Journal de Québec, comme ce fut le cas pour le chien de Conan? Engorgeons-nous les lignes des tribunes téléphoniques à la radio? Descendons-nous dans la rue?

Ben non. Nous sommes tellement désabusés que nous les reportons au pouvoir ou achetons leurs produits et services.

Je vous dis ça, et je sais que j'ai l'air de m'égarer un peu, mais quand je constate cette absence de cohérence chez nous, ce désir de gueuler mal catalysé, puis ce chialage incessant depuis des jours à l'endroit de ces Américains ou de ces Canadiens anglais qui se moquent de nous, comme nous nous moquons d'eux, et bien plus souvent qu'à notre tour, en exploitant les mêmes préjugés à la con que ceux que j'utilise pour taquiner mon Anglaise à moi, je me dis que les détracteurs de Cherry et O'Brien ont peut-être raison.

Pas besoin que des blokes viennent se foutre de notre gueule.

Nous le faisons tellement mieux nous-mêmes.