Desjardins

Pète et répète

Imaginez la torture. Un supplice de la goutte chinoise. Sur les ondes de votre radio favorite, on ne jouerait plus que 10 ou 12 chansons différentes par jour. Des bonnes, des passables et des atrocement poches.

Une fois la boucle complétée, la météo et les incontournables mauvaises nouvelles de chiens qui mangent les enfants passées, on recommencerait. Les mêmes tounes, interrompues par des publicités tonitruantes, des animatrices qui susurrent érotiquement: "Bonjour, j'espère que vous allez bien" ou des mongols à l'âge mental incertain qui gueulent des: "Ohhhh oui mes amis!" à faire pâlir Marc Simoneau d'envie.

Et ça recommencerait, sans signe d'une éventuelle trêve. Jour après jour. Ad nauseam.

Eh bien, j'ai une mauvaise nouvelle pour vous: si vous écoutez autre chose que des radios communautaires, universitaires ou d'État, ce sadique fantasme est dangereusement près de la réalité. Pas tout à fait aussi cruel, mais presque.

À preuve, "en 2003, les 10 chansons figurant au sommet du Top 10 francophone ont occupé 41,7 % de la programmation musicale de l'ensemble des stations de radio commerciales. Dans le cas du top 50, ce pourcentage a atteint 91 %", ont révélé certains acteurs des Rencontres professionnelles de l'industrie québécoise du disque, du spectacle et de la radio, les 22 et 23 mars derniers.

Des statistiques vite récupérées par l'ADISQ, qui en a fait son cheval de bataille, et aussi par mon collègue dans une autre vie, Dave Ouellet, directeur général de CISM, la radio de l'Université de Montréal dont le nouveau et très caustique slogan est: "L'écoute des radios commerciales nuit aux artisans de la musique".

"Le manque de diversité sur les ondes commerciales donne lieu à de réelles aberrations, clame Ouellet dans le document que lui et son homologue de CHYZ (la radio de l'Université Laval) m'ont fait parvenir. On peut citer le cas du palmarès BDS qui recense chaque année les 100 pièces francophones ayant le plus tourné sur les ondes des radios commerciales. En 2003, le nombre de nouveautés ne permettait pas de compléter un top 100. C'est devenu un top 78!"

Vous voulez d'autres chiffres?

Ce sont les suivants qui font le plus mal: "Les radios commerciales ont connu une augmentation de leurs revenus de 35 % en 2003", alors que cette même année "les cinq albums francophones les plus vendus au Québec constituaient plus de 33 % des ventes totales de disques francophones".

Remarquez, ce phénomène d'adhésion massive de la population s'étend bien au-delà du contenu francophone. En fait, les radios commerciales sont sans doute devenues la plus grande source de certitude dans un monde de peurs, d'angoisses et de lendemains incertains.

Un endroit réconfortant où, en marge des turpitudes du quotidien, on retrouve un havre d'habitudes et de nostalgie pour nos sociétés inquiètes de ce que leur réserve le futur.

Par exemple, vous craignez de perdre votre job? Rassurez-vous. Seulement quelques heures d'écoute du FM 93 et, entre deux plogues d'activités pour et par la grande famille de François Reny, vous pourrez certainement entendre les hits The Mexican de Babe Ruth, ou, mieux, Hotel California des Eagles. Histoire d'oublier les durs lendemains…

Autrement, si votre fils a de mauvaises fréquentations et que cela vous turlupine, cessez donc de vous tracasser et syntonisez CFOM pour chanter un air familier qui vous détendra. D'ici quelques minutes, Les Champs-Élysées de Joe Dassin prendra sans doute l'antenne…

Mais si c'est plutôt de défoulement à la suite d'une difficile rupture amoureuse que vous avez besoin, je vous prédis une bonne grosse toune poche de Linkin Park entre deux séances de chialage à CHOI, ou encore le dernier tube de Beyoncé qui passe au moins cinq fois par jour à CHIK. Parfaits pour les coups durs.

Et puis il y aura toujours Céline Dion à Rock Détente, au cas où vous auriez oublié le disque à la maison.

C'est rassurant, non, de savoir qu'on peut se fier sur nos radios commerciales pour nous remonter le moral?

D'autant qu'avec le possible remaniement au FM 93 et le récent achat de CFOM et CHRC par le groupe Corus, la programmation locale risque de s'homogénéiser encore plus, proposant le confort de certitudes musicales rejoignant un dénominateur commun encore plus vaste.

Et pour le reste du monde qui n'a pas accès à nos bonnes fréquences, me demandez-vous? Pour apporter un peu de réconfort aux Tchétchènes ou aux soldats américains en Irak?

Oubliez les radios qui, j'en ai peur, n'y peuvent pas grand-chose.

Demandez plutôt au chum de Myriam Bédard.

Paraît qu'il fait des miracles.