Desjardins

Dors, bon peuple, dors

"Je crains qu'un jour, il ne reste plus qu'une seule station de radio, qu'une seule maison de disques (…) Je suis déjà allé dans un endroit comme cela, autrefois. Ça s'appelait l'Union soviétique. Il est d'une terrifiante ironie de constater que le capitalisme se dirige vers le même type de contrôle de la pensée, non?"

– Billy Bragg, auteur-compositeur-interprète

Au Québec, on n'enferme personne pour avoir dit ce qu'il pense. Si c'était le cas, je vous écrirais sans doute depuis le goulag de Forestville. Ou plutôt, je n'écrirais plus.

Et bien avant qu'on me fasse la job, on aurait déjà séquestré les Foglia, Vastel, Arthur, Arcand, Martineau, Provencher, Dutrizac, Boisvert, Gagné, Sansfaçon, et plusieurs autres.

Parmi nous, gageons qu'on compterait aussi les humoristes et auteurs cosignataires de la lettre d'appui à Louis Morissette, publiée dans quelques quotidiens samedi dernier.

D'autant plus que si le Québec était une véritable dictature, qui serait le mieux à même de le diriger, sinon l'infâme PKP? Et comme responsable de la propagande, il pourrait sans doute compter sur Luc Lavoie, actuel porte-parole de Quebecor, dont la lettre démentant la "rumeur de l'affaire Morissette" qui accompagnait celle des humoristes dans les pages d'opinion de samedi avait justement des airs de "discours officiel du parti".

Au Québec, donc, on n'enferme personne pour avoir dit ce qu'il pense. Mais on peut l'empêcher de travailler.

On peut aussi faire régner un régime de terreur, s'élever en détenteur du monopole du bon goût. On peut commettre un geste comme celui qui a été perpétré à l'endroit de Morissette et, même en niant l'avoir fait, envoyer un message clair à l'ensemble des artistes et des journalistes: vous êtes avec nous ou contre nous; si vous riez de moi ou de ma famille, vous ne travaillerez jamais dans MA station de télé, MES journaux, MES magazines… Autant dire qu'à moins de bosser pour le peu qui reste de la concurrence, vous êtes condamnés au chômage.

Révoltant? Un peu, quand même.

Mais au-delà de ce scandale, savez-vous où se situe le vrai problème?

Chez vous, chez nous, chez matante Gertrude et mononc' Gaston.

Parce qu'on aura beau saluer le courage de ces humoristes qui mettent leur tête sur le billot pour dénoncer l'apparente ingérence du patron du plus gros empire médiatique québécois, on aura beau hurler d'indignation, se rouler dans la bouette en criant des insultes à tout rompre; et le syndicat des employés de Quebecor pourra bien quant à lui organiser toutes les conférences de presse en appui à cette cause… tout le monde s'en sacre.

Apparemment, la liberté, la justice et l'éthique sont de ces choses que l'on tient pour acquises et dont la population attend généralement la disparition complète avant de réagir.

Pour preuve, après cette affaire, je vous parie ce que vous voulez que les ventes du disque de Star Ac' et des billets de la tournée ne s'en ressentiront pas d'un iota. Pas plus que ce fameux reality show de mariage que devait animer le Mec comique et dont les cotes d'écoute atteindront probablement des sommets inégalés.

Les Journal de Québec et de Montréal continueront de vendre des premières pages scabreuses où règnent le scandale cheap et l'écrapou, tandis que les revues à potins disparaîtront toujours aussi rapidement des comptoirs des marchands de journaux.

Alors Pierre-Karl peut dormir tranquille et, entre deux dodos, continuer de bichonner son caniche hystérique, faisant, de l'autre main, tomber des pions d'une simple pichenotte sur son jeu d'échecs en marbre de Carare. Rien n'y fera.

Remarquez, il n'est pas le seul à profiter de cette apathie. Comme le disait Franco Nuovo, y allant d'une joke plutôt mal patentée en se portant aveuglément, tel un ange vengeur, à la défense de son patron, "Gesca a aussi son Star Académie, c'est le Parti libéral".

Ce qui n'indigne personne non plus. Ou sinon, quelques mongols comme moi qui crient dans le désert.

Que voulez-vous, le bon peuple dort profondément, rêvant à son nouveau spa et à son pulvérisateur de chez Canadian Tire.

Et vous savez quoi?

Il ne souhaite surtout pas qu'on le réveille.