Desjardins

La machine molle

À chaque campagne électorale, c'est la même histoire: les jeunes ne s'intéressent plus à la politique, ils sont cyniques, ils ne croient plus au système, yaddi yaddi yadda…

Remarquez, ces vieilles complaintes sont rassurantes. Elles vous réconfortent en vous démontrant que malgré l'évolution exponentielle de certains aspects de nos sociétés, d'autres, comme le discours médiatique, demeurent rigoureusement les mêmes.

Prévisibles.

À l'inverse et au risque de vous surprendre, surtout si vous lisez régulièrement cette chronique, je réprouve le cynisme que plusieurs d'entre nous cultivons. Je dirais même que j'abhorre ma propre désillusion en ce qui concerne la politique traditionnelle.

Bref, je ne suis pas mieux que d'autres: un client insatisfait qui préfère cesser d'acheter plutôt que de chercher une solution de rechange, et je me tombe un peu sur les nerfs par moments.

Suggérons alors, afin de redorer son image et de pénétrer la part la plus récalcitrante de son électorat, que cette même politique traditionnelle rafraîchisse ses techniques de vente. Ce serait un début et puis, que voulez-vous, on ne s'adresse pas aux baby-boomers et à leurs parents comme on parle à la génération Nintendo qui, elle, a grandi dans cette désillusion et ce cynisme permanents, se nourrissant de Simpsons, de South Park et de jeux vidéo.

Et même si, ça encore, c'est une forme de cynisme: perception is everything, comme disent les publicitaires, et la politique, comme n'importe quel commerce, doit s'appuyer sur la séduction.

Le changement de look pourrait donc commencer par les campagnes d'affichage qui, si elles sont toutes aussi sexy que celles de Québec, ne risquent certainement pas d'ameuter les jeunes Cânaguiens, comme dirait Paul Martin.

Comme chez les conservateurs, où quelques candidats au triple pontage coronarien affichent leur grosse bouille grise sur une photo peu flatteuse qui donne à penser que la stratégie du parti de Stephen Harper pour réduire les coûts en santé a certainement plus à voir avec la privatisation qu'avec la prévention par l'activité physique.

Au Bloc, ce n'est guère mieux. Un slogan qui lave plus blanc que blanc, et la grosse tête d'autres illustres inconnus, sauf peut-être Bernard Cleary, et aussi Christiane Gagnon, dont le faciès est par ailleurs étrangement flou sur ses affiches. Comme s'il s'agissait d'une sorte d'apparition mystique. Tout le monde à genoux!

Chez les libéraux, là, on se la joue big. La face du chef en mortaise, et puis la gueule des candidats qui regardent stoïquement vers l'avant, comme le stipule leur slogan, évitant à tout prix de jeter un œil derrière, des fois qu'ils verraient conservateurs et bloquistes leur filer le train d'un peu trop près. Ajoutons aussi en ce qui concerne leurs candidats de moins de 100 ans: même les jeunes libéraux ont l'air vieux. Regardez Jean-Sébastien Côté, candidat de Québec: tellement drabe qu'on dirait un proche cousin de Patrick Simard, le très clean cut président de la Chambre de commerce de Québec.

Quant au NPD, je ne vous dis pas… Le seul véritable parti de gauche du Canada propose non seulement des candidats auxquels les photos donnent des airs de repris de justice, mais toute l'infographie confère à l'ensemble un look glauque à peu près aussi séduisant qu'un poêle à bois. La gauche gothique? Au secours!

C'est quand même inouï qu'avec les masses de fric qu'investissent les partis politiques dans une élection, on planifie toujours ces campagnes par automatisme: pancartes, porte-à-porte, gros plan sur l'image du chef et slogans ineptes. Un débat télévisé, et puis hop! on vote.

Dans ce contexte, se plaindre du désintéressement des jeunes par rapport aux campagnes électorales revient à se demander pourquoi ils ne veulent plus d'un ordinateur Commodore 64 ou d'une console de jeu Intellivison.

Pensez-y: au nombre de publicitaires, de faiseurs d'images et de créatifs qui travaillent derrière chaque parti, comment est-il possible que personne n'ait encore suggéré de rajeunir les méthodes de campagne?

À croire que ce sont les politiciens eux-mêmes qui ont démissionné de la jeunesse tellement ils investissent peu dans ce public-plus-ou-moins-cible, que la bête électorale des partis traditionnels est une machine molle, engoncée dans des tactiques antédiluviennes qui l'empêchent de réfléchir en regardant vraiment vers l'avant.

Une machine flasque qui, à moins de pondre quelques idées novatrices, ferait mieux d'aller au plus vite chercher sa prescription de Viagra… ou d'un de ses génériques, comme dirait Bono.