Desjardins

Cégep 101

On parle beaucoup des cégeps ces jours-ci. De réforme, de transformation, d'autonomie, de restructuration, de refonte, de pertinence, de remise en question, ou carrément d'abolition.

Je n'ai pas assisté au récent forum sur l'avenir du collégial qui se tenait à l'Hôtel Loews Le Concorde, alors qu'une bruyante manif battait son plein à l'extérieur. Pas besoin d'avoir vu mille colloques du genre pour savoir qu'il n'en ressort jamais rien, sinon des promesses creuses. Du wishful thinking, des tapes dans le dos et des conclusions douces-amères qui sentent bon le compromis à l'arraché.

Surtout que, entre ses aspirations d'économie et le souhait de ne pas trop déplaire, le cœur du ministre de l'Éducation balance. Abolira, abolira pas? Statu quora, statu quora pas? Changera beaucoup, ou un petit peu? On n'en sait trop rien pour l'instant.

Oyez là! Je vous entends déjà ronfler! C'est l'infâme pendule du politicailleux qui vous ennuie?

Pourtant, la question est capitale. Le problème? C'est qu'on ne la pose pas cette damnée question. Et c'est ainsi que la plupart de nos dilemmes et enjeux sociaux sont escamotés: on pose tout plein de mauvaises questions, et jamais LA bonne.

Comme dans ce cas-ci. Avant de parler de marchés, de démographie, de l'attachement de tout un chacun à son cégep adoré, avant d'étudier les différentes possibilités de refonte et de parler de cash, il faudrait peut-être se demander: de quel genre de société voulons-nous?

Voulons-nous d'un nombre grandissant de travailleurs spécialisés, vaillants consommateurs et payeurs de taxes dont la formation générale serait plus ou moins évacuée, ou souhaitons-nous former des citoyens dont la formation les aidera à agir non seulement comme de meilleurs travailleurs, mais aussi comme les acteurs éclairés d'une société éveillée?

Avant de parler de forme, ne devrait-on pas parler de fond?

À ce sujet, Thomas De Koninck, célèbre prof de philo à Laval, publiait la semaine dernière, dans un quotidien, un fervent plaidoyer en faveur du maintien de l'enseignement de la philosophie au collégial. Je ne suis pas toujours d'accord avec monsieur De Koninck, je trouve qu'il analyse parfois notre époque avec un filtre un peu trop noircissant, mais là, j'embarque.

Car comme l'universitaire le souligne, la formation se surspécialise alors que, dans le contexte de mondialisation actuel où les enjeux sociaux et politiques se complexifient, "ce qu'il s'agit de former avant tout, c'est le jugement critique; lui seul rend autonome, libre".

Et n'en déplaise aux commissions scolaires qui voudraient voir les cégeps disparaître pour les remplacer par une sixième année de secondaire et une quatrième année au bac, ce n'est pas au secondaire qu'on apprendra aux jeunes à réfléchir. D'autant plus qu'on n'arrive même pas à leur apprendre à lire, et encore moins à écrire.

En fait, s'il ne fallait citer qu'une seule raison pour appuyer la survie du cégep, ce serait justement qu'on y enseigne les matières mal aimées, mais essentielles à l'élévation de l'"homme", que sont la philo, la littérature, et aussi l'éducation physique, tiens.

Une raison qui ne risque pas de trouver grâce aux yeux d'un gouvernement du Québec qui n'a pas avantage à se faire l'apôtre de la pensée critique.

Un peuple qu'on garde dans l'ombre est tellement plus facile à diriger…

ooo

En terminant, je veux encore vous parler de mes amis les policiers.

Parfois, je leur rentre dedans par le biais de cette chronique, et puis j'ai des remords. Je pense aux "gardiens de l'ordre" que j'ai connus et qui sont parfaitement corrects. De bons types, pas cons pour un sou, pas plus violents que la moyenne: des gens bien qui ne méritent pas que je les inclue dans mes montées de lait généralisantes à l'endroit des flics.

Et puis, il y a les cons comme celui qui a arraisonné un de mes collaborateurs lundi soir, à la sortie du spectacle de Slayer à l'Agora.

-T'es journaliste où?

-Voir, entre autres…

-Ah ouin… Vous êtes l'Ennemi, les journalistes, vous êtes des dangers ambulants, vous avez pas conscience que votre crayon est pire qu'un gun. (…) Le Voir, c'est un torchon de gauchistes, vous êtes pareils à Jeff Fillion et au Soleil…

Wow! Édifiant, non?

Et après ça, on s'étonnera que nos flics, lorsqu'ils parlent de preuves, ne fassent pas la différence entre du béton et de la potée…