Desjardins

Barbie divorcée

Vous la connaissez peut-être, celle-là…

C'est l'histoire d'un gars qui, à la demande de sa fille qui aura six ans cette semaine, part acheter un exemplaire de la plus célèbre poupée du monde occidental.

Pris de panique en mettant les pieds dans l'allée rose nanane chez le marchand de jouets, il interpelle un vendeur qui lui propose la tournée descriptive de l'ensemble des modèles disponibles, pour terminer par la plus chère: la Barbie divorcée.

– Et pourquoi est-elle aussi chère? demande le type en sursautant devant le prix de ce modèle qui est au moins cinq fois plus coûteux que les autres modèles, déjà passablement onéreux.

– Mais parce qu'elle vient avec la maison de Ken, la voiture de Ken, le chalet de Ken, le bateau de Ken, la moto de Ken…

Vous vous demandez pourquoi je vous raconte cette vieille blague épaisse? Parce que c'est l'été, que je résiste mal à une insoutenable envie de légèreté et que j'en ai marre de vous bassiner avec des sujets d'actualité? Un peu. Mais c'est surtout parce que Barbie s'est justement divorcée de Ken cette année. Ne riez pas, c'est vrai. Après quatre décennies d'un si parfait bonheur, la muette blonde dont les improbables mensurations auront fait hurler les féministes a finalement dumpé son chum. Pour le remplacer, Barbie s'est entichée de Blaine, un jeune surfeur australien aux cheveux délavés par le soleil et l'eau salée.

Si Ken était le personnage d'un roman de Bret Easton Ellis, il engourdirait son chagrin aux anxiolytiques, à la coke et aux vodkas-tonic. Il fréquenterait les bars branchouilles de Los Angeles et New York. Il culbuterait Paris Hilton dans les toilettes du club appartenant à Dennis Rodman, puis mourrait entre les mains d'un groupe de top-modèles féministes extrémistes lui reprochant d'avoir encouragé les comportements anorexiques de Barbie…

Mais, en réalité, ce pauvre bougre de Ken est en voie de devenir le symbole en plastoc de la détresse des mâles occidentaux.

Si, si. Enfin, si j'en crois le récent dossier du Nouvel Observateur sur la condition masculine… et cette blague de mâle frustré que je vous servais en guise de préambule.

Perte des modèles et des repères, changement de valeurs, féminisation de la société, désintégration du système patriarcal, omnipotence des femmes: si Ken a mal dans son corps de plastique et son âme de cellophane, l'homme moderne souffre au moins autant. Dur à croire: même les Français, ces modèles de machisme, ne savent plus où donner de la tête.

Et n'allez pas faire porter tout le poids du blâme au féminisme: paraît que la qualité du sperme irait en décroissant partout sur la planète, tandis que d'éminents scientifiques prévoient jusqu'à l'éventuelle disparition du chromosome Y, annonçant l'avènement d'un "univers peuplé d'amazones lesbiennes"… dans environ 200 000 ans.

En attendant, l'homme moderne geint, se tord de douleur sur les plateaux de télé, dans les magazines et les lignes ouvertes à la radio, au point où ç'en devient gênant.

À notre décharge, les tendances sont parfois difficiles à suivre. Les femmes ont demandé aux hommes de virer au rose, puis les ont virés parce qu'ils étaient devenus des lavettes, confirmant la véracité de ce mot d'esprit de Sonny Barger, cofondateur des Hells Angels (sic!), cité dans le dossier du Nouvel Observateur : "La plupart des femmes qui s'extasient devant la séduction des hommes sensibles mouillent leur culotte pour une brute tatouée." Ainsi, comme poursuit le Nouvel Obs, les femmes chercheraient "des amants doux comme des filles, sachant les baiser comme des camionneurs"?

Entre vous et moi, vous choisiriez d'être quoi, vous? La gentille lavette ou l'infâme baiseur en série? Existe-t-il un compromis qui ne soit pas aussi lénifiant que cet homme mauve qu'on nous propose désormais?

Disons qu'on est mal barrés, incapables de trouver un modèle équilibré entre la tradition et les ambitions pour la plupart légitimes des femmes, n'étant parvenus qu'à s'aplatir devant elles. À croire que toute la virilité des hommes tenait d'une sorte d'atavisme issu d'une culture totalitaire qui, une fois disparue, n'a laissé que du vide.

On se pose donc la question: en prélude à l'extinction prévue dans 200 millénaires, les seuls modèles masculins qui ne sont pas des désastres de caricatures machistes deviendront-ils encore plus pitoyables que les stéréotypes féminins d'avant le féminisme?

De bons petits maris sans défense qu'on quitte un jour, par ennui, et à qui, par pitié, on laissera la voiture de Barbie, la maison de Barbie, le chalet de Barbie, le bateau de Barbie, la moto de Barbie…