Desjardins

La débandade

Et dire que j'allais vous servir une chronique en forme d'éloge de l'ennui pour ce retour de vacances. Du genre que je vous aurais raconté comment j'ai regardé le jour se dénouer avec une lenteur proustienne pour mieux sombrer dans l'ivresse des petits instants de farniente qui dégoulinent de bonheur.

Mais, ô terreur, au moment d'écrire ces lignes, nous suivons péniblement le Bélarus au décompte des médailles olympiques. Bons 19es au monde. Alors fuck la lenteur, Proust et les vacances! Un truc qui pue drôlement vient de tomber sur les hélices du ventilo.

C'est Pierre Falardeau qui doit être content: rarement le Canada s'abaisse-t-il à un tel apitoiement sur son propre sort, questionnant ses politiques, léchant publiquement ses blessures avec autant d'impudeur.

À croire que le pays est un chien qui se serait fait frapper par un char.

Mais le plus navrant, c'est que tout le monde a l'air surpris.

Peut-être faudrait-il se rejouer les bandes des dizaines d'entrevues d'avant les Jeux pour y entendre nos athlètes nous préparer au pire: "Je suis surtout content d'être de la sélection", "Si je me qualifie pour la finale, ce sera bien", "C'est quand même pas mal de se rendre aux Olympiques", "Je suis ici pour avoir du plaisir"…

Du plaisir?

Comment voulez-vous qu'on s'excite devant des athlètes qui sont là pour prendre leur pied plutôt que pour chercher la victoire? Le sport d'élite n'est-il pas sacrifice, souffrance et rigueur répétés en boucle, comme une interminable série de petites morts, une discipline spartiate qui n'a rien, mais rien à voir avec le plaisir?

Au-delà de notre score au tableau des médailles, dont je me contrefiche, ce qui m'inquiète d'abord, c'est cette odeur de défaitisme et cet esprit de "participaction" qui planent sur le pays.

Je vous disais que Falardeau doit être content, mais c'est probablement le contraire. Cette unanimité dans la tiède acceptation de la défaite et ces fugaces élans d'une fausse indignation recèlent en réalité une malsaine unité nationale, la devise des participants canadiens aux Olympiques ressemblant de plus en plus à un truc du genre: united we fall…

Je ne sais pas quel con de psychologue sportif leur a mis ça dans la tête, mais à écouter certains athlètes, on croirait qu'ils n'y sont pas pour participer à la plus importante épreuve sportive de leur vie, mais qu'il s'agit plutôt d'une récompense pour leurs longues années d'un travail acharné. Comme si se rendre à Athènes était une activité méritoire où se mêleraient la pitié et une sorte d'ultime plaisir. Du genre: Rêves d'athlètes vous envoie à Euro-Disney.

Et nos journalistes télé font comme si de rien n'était, s'ébaubissant devant des 11es places dans un concert d'éloges qu'on s'amusera à comparer aux derniers instants de l'orchestre du Titanic.

D'ailleurs, parlant de couverture télévisuelle, elle est au moins aussi désastreuse que nos résultats jusqu'à présent. Réseaux anglais et français confondus, il faudrait littéralement cacher la zapette pour m'empêcher de changer de poste tellement les entrevues qui ponctuent les épreuves m'irritent par leur insupportable complaisance, leur insipide candeur et leur complète absence d'imagination. "Malgré votre 30e place, vous êtes quand même contente?", "Le pays vous écoute, alors dites-nous, dans votre sport, ce que le gouvernement pourrait faire pour améliorer votre sort ." Pitié…

Pendant ce temps, au réseau américain, on sombre dans un ennui télévisuel du même ordre, opposant cependant à notre optimisme moribond le proverbial chauvinisme états-unien.

Leur programmation est donc aussi nulle que la nôtre, mais leur attitude moins déprimante.

Contrairement à nous, et comme ce doit être le cas des Français, des Chinois ou des Australiens, eux gagnent non seulement des médailles, mais ils en veulent encore et encore, ils en bouffent, en dévorent. Ils carburent à la victoire, prennent tous les moyens nécessaires pour y parvenir et, avec raison, bombent fièrement le torse au moment de la collecte. Du premier des athlètes au dernier des journalistes.

De mon côté, j'ai bien appris ma leçon de Canadien. En bon perdant, ne reste plus qu'à mater les plans rapprochés des joueuses de volleyball de plage, me demandant s'il y a quoi que ce soit d'autre aux Olympiques qui puisse encore me faire bander.