Desjardins

Le meilleur ennemi

Le monde des médias est peut-être sans pitié. Il est aussi parfaitement amoral.

À titre d'exemple, prenez l'ahurissante rentrée radio de cet automne à Québec.

Avec l'hécatombe annoncée par le renvoi d'à peu près tout ce qui ronchonnait sur les ondes de CJMF, les performances pour le moins ordinaires de Mario Grenier à CHIK, l'échec de Josey Arsenault à CHRC et le retrait de CHOI – qui ne se fera vraisemblablement pas avant un bon moment, s'il survient jamais -, la plupart des suppositions et prédictions paraissaient bonnes.

On les a d'ailleurs toutes entendues depuis les coulisses, tout au long de l'été: Arthur serait de retour au 93, Parent retournerait à CHIK, Gillet irait à CFOM, etc.

Au diable les querelles, les renvois, les procès médiatisés et les poursuites. Depuis des semaines, le milieu de la radio grouille de suppositions, toutes plus farfelues les unes que les autres, mais qui semblent presque toutes plausibles malgré leur apparente improbabilité.

La dernière en lice, depuis qu'on sait finalement que CHOI profitera d'un sursis: Robert Gillet reprendrait la barre de son émission matinale à la station qui a coulé avec lui, le FM 93. Une rumeur tellement forte dans ce cas-ci qu'on la jouait même en page frontispice du Journal de Québec, mardi dernier.

Si la nouvelle n'était pas encore confirmée au moment d'écrire ces lignes – nous avons contacté Steve Hayes, directeur de la programmation, qui a refusé de commenter ce qu'il qualifie de rumeur -, et bien qu'on puisse douter de la crédibilité de son auteur, qui a la fâcheuse tendance de ressusciter les morts, l'article a généré de vives réactions.

"Je ne peux pas croire, comment peuvent-ils l'engager s'il a été trouvé coupable?" se sont demandé certains en apprenant la "nouvelle". "Et qui va vouloir acheter de la pub?" ont-ils ajouté du même souffle.

En réponse à la première question: Ils n'ont plus rien à perdre.

À la seconde: Tout le monde.

Et à cela, j'ajouterais: bande de naïfs, va!

Car si la radio est amorale, imaginez le milieu de la publicité.

Les commanditaires se contrefichent de ce qui se dit, ou de qui le dit en ondes, du moment qu'il y a un auditoire à la clé.

Donnez-leur de la cote d'écoute et ils vous donneront leur fric. Point à la ligne. Et de la cote d'écoute, Gillet risque d'en avoir s'il revient, que ce soit au FM 93 ou ailleurs. Car le public est au moins aussi voyeur que la radio privée et la publicité sont dépourvues de valeurs autres que le fric.

D'ailleurs, imaginez, s'il revient, le nombre de personnes qui syntoniseront la station pour son premier matin en ondes. Ne serait-ce que pour entendre la première phrase, pour partager le malaise, pour se dire: "Crisse, il a du front", sans même faire de joke plate.

Ce qui m'amène tout de même à me demander dans quelle sorte de climat Gillet reviendrait. Car rien ne serait plus comme avant. Finies les jokes de cul qui étaient légion dans son ancien show. Finis les appels pris en ondes, de peur que quelqu'un en profite pour le traiter de salaud. Finies les pubs live pour annoncer des voyages en Thaïlande et à Prague.

Et surtout, finie l'extraordinaire assurance dont disposait Gillet et qui faisait de son show, nonobstant tout ce qu'on peut penser de ses actes, une émission de radio informative et divertissante au possible.

Aussi, il faudrait peut-être penser à renommer l'émission qu'il animerait: la précédente portait le nom de La Bande à Gillet…

Mais malgré toutes nos réticences, et que cette rumeur de retour en grâce soit fondée ou non, il appert, selon le courrier d'un célèbre lecteur d'un quotidien de Québec, qu'il faille donner sa chance au coureur. En effet, "je répète depuis des mois que son talent force son retour et qu'il faut laisser les auditeurs décider de sa place à l'antenne", affirme son auteur.

Et de qui s'agit-il?

De nul autre que son meilleur ennemi: André Arthur.