Desjardins

En relisant vos lettres

C'est signé Mariejosée. Manière stylisée qu'elle a choisie pour écrire son prénom ou douteux éclair d'originalité de la part de ses parents? On s'en fiche.

Ce dont on se fiche moins, c'est du contenu de son message. Probablement le plus juste et le plus honnête parmi ceux que j'ai reçus de la part de nombreux étudiants en sciences de l'éducation qui ont l'impression que je suis sur leur dos à longueur d'année.

Deux chroniques et un quart en deux ans que je leur consacre. À environ 50 chroniques par année, ça fait à peine plus de 1 %. Mais bon, z'ont l'impression que je les persécute, alors ils se défendent.

En ce qui concerne le message de Mariejosée, ça va comme suit:

"Bonjour M. Desjardins,

Depuis plus d'un an, vous vous attaquez aux étudiants en sciences de l'éducation. On échoue au test de français à notre entrée au bac. Oui, et puis après? Nous avons quatre ans pour apprendre la langue française dans toute sa complexité, apprendre à maîtriser ses règles les plus absurdes, ses règles d'accord parfois douteuses. J'y ai échoué à ce foutu test. Ce foutu test où on nous questionne sur les exceptions de la grammaire, sur des exceptions qu'on n'a parfois jamais apprises. (…) Vous pouvez continuer de nous "blaster" allégrement comme vous le faites depuis un bon moment. Par contre, je sais (et la plupart des étudiants aussi) que ce test n'a pas de crédibilité valable. Il représente ce que nous devons supposément avoir acquis à notre entrée au bac. Mais il ne faudrait pas oublier que nous avons quatre belles années devant nous pour parfaire notre langue écrite.

Est-ce que vous, M. Desjardins, saviez écrire de façon si juste, si véridique, si majestueusement au début de votre carrière?"

Bon, je vous coupe un peu avant la fin, Mariejosée. D'abord pour vous dire que je n'écris pas majestueusement. Loin s'en faut. Ce n'est pas de la fausse modestie, c'est la pure vérité. J'écris avec des gants de boxe ou avec une tapette à mouches, mais pas avec majesté. Et puis le début de ma carrière, vous y assistez présentement.

Cela dit, est-ce que vous connaissez Serge Gainsbourg? Lui écrivait majestueusement. Vous connaissez sa chanson En relisant ta lettre? Vous devriez, c'est une de ses premières tounes, un bijou de méchanceté. Tout au long de la pièce, le narrateur passe une lettre de rupture au crible en y corrigeant les nombreuses erreurs de français.

En lisant le message d'une de vos collègues qui écrivait: "Les erreurs qu'on a fait (sic), la majorité des francophones les auraient fait (re-sic) à moins d'être linguiste (re-re-sic)", j'ai eu envie de m'adonner au même exercice, mais en me concentrant sur les participes passés.

Sauf que placer "il faut accorder avec le complément d'objet direct lorsque placé devant le verbe" dans un poème, c'est un peu chiant, non?

Voilà donc un défi que je ne relèverai pas. Comme celui qu'on m'a proposé dans ce même message, soit de passer ce fameux test.

Eh bien, je vais vous confier un truc, et j'espère qu'on en finira une fois pour toutes avec ce dossier accablant: j'y échouerais probablement, moi aussi, à ce damné test.

Est-ce que ça m'enlève le droit de penser que vous devriez le réussir?

Que non. Parce que vous, vous aspirez à une grande carrière. L'une des plus nobles qui soient. Vous êtes des passeurs de savoir. Il n'y a pas d'autre intermédiaire: vous êtes les correcteurs, vous êtes la référence, vous êtes garants du futur de la langue.

Vous avez quatre ans pour apprendre les rigueurs du français à l'université? C'est malheureusement trop peu. Trop tard.

Je sais, ce n'est qu'à moitié votre faute. Comme me le disait le recteur de votre faculté à l'Université Laval, Claude Simard, vous êtes les fruits de notre système d'éducation.

Vous êtes donc des passeurs naviguant à bord d'un frêle esquif qui prend l'eau, faute d'étoupe. Alors même si c'est désolant, voire révoltant, ce n'est pas étonnant de vous voir couler en bloc.

Aussi, ce ne sont pas les étudiants autant que le principe que je "blaste", Mariejosée. Vous n'êtes pas mes têtes de Turc, vous êtes seulement le symbole de mon écœurement face à un système pourri.

Soyez sans crainte, je ne vous en veux pas. Bien au contraire. J'en veux plutôt aux connards du ministère de l'Éducation. J'en veux à tous ces crétins auxquels il faut botter le cul pour pouvoir enfin acheter des grammaires et des dictionnaires dans nos écoles.

J'en veux à ces triples imbéciles qui envisagent déjà de rogner le contenu général des cours pour axer la formation vers la spécialisation de plus en plus tôt. J'en veux à ces pédagogues à cinq cennes qui sont convaincus qu'en faisant passer la pédagogie avant le savoir, qu'en éliminant le redoublage au primaire, là où tout se joue, on rend service aux enfants, alors qu'en fait, on hypothèque le futur.

Ce futur qui, pour vous, se conjugue déjà tout croche au présent.