Desjardins

Le retardataire

C'est la grande déprime. Fin janvier, froid sibérien. Les étudiants étrangers qui en sont à leur premier hiver chez nous ne quittent plus leur résidence autrement qu'en empruntant les corridors souterrains de l'université. Dans les banlieues, les cordes de bois se délitent avec la fulgurance d'un ski-doo fuyant la police dans les sentiers de Val-Bélair, tandis que les détaillants d'appareils électroniques font des affaires en or avec les cinémas maison et que les marchands de meubles liquident leurs stocks de divans à 36 paiements en 36 mois.

D'où mon étonnement que l'on se préoccupe chaque année du froid dans nos médias lorsque, en réalité, l'ennemi public numéro un serait plutôt son corollaire: l'ennui. Un ennui le plus souvent alimenté par des séries télé parfaitement lénifiantes qui, cette année, devront cependant rivaliser de "soporifisme" – appréciez le néologisme – avec le triste défilé des aspirants à la mairie de Québec. Âpre concurrence, vous admettrez.

Mais réprimez bâillements et soupirs agacés. La chose devrait être excitante, les dossiers chauds ne manquant pas dans la capitale. Soit-elle provinciale, nationale, de la nordicité ou de l'insulte radiophonique.

Qu'on pense seulement aux conflits qui opposent l'administration municipale et ses corps de policiers et de pompiers, aux sérieux défis du développement économique, à l'exode des jeunes, au marasme ambiant, aux innombrables ajustements post-fusions ou aux fêtes du 400e, celui qui échouera sur le siège de Jean-Paul 1er aura toute une marchandise à livrer.

Sauf que voilà, à peine le jeu a-t-il débuté que déjà plane l'odeur fétide de la petite politicaillerie et des entourloupettes. Et ce remugle émane principalement du bureau de Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice du désormais parfaitement ridicule gouvernement Charest.

Déjà, on savait Marc Bellemare chétif. À la première contrariété, le voilà qui envoyait promener ses congénères libéraux pour retourner à la pratique privée. Un combat de perdu, et il se désiste. Agaçant, vous dites? Ce n'est rien à côté de sa persistance à ne pas vouloir annoncer officiellement sa candidature à la tête d'un troisième parti, dont le financement irait pourtant déjà bon train, apprenait-on lundi.

Alors, pourquoi laisser planer le doute, Monsieur Bellemare?

Le sondage de la mi-novembre (Crop-Le Soleil) vous plaçant en tête devant plusieurs éventuels candidats ne vous a pas convaincu? Il vous donnait pourtant gagnant, même contre l'indomptable Andrée Boucher. Est-ce d'une autre petite poussée que vous avez besoin? Alors laissez-moi vous la donner tout de suite: cette victoire vous est déjà assurée. Et si vous avez le moindre petit atome d'instinct politique, vous le savez déjà et ne nous faites languir que par sadisme. Ou alors, il s'agit d'une stratégie politique qui consiste à entrer dans la course à la dernière courbe et à devancer ses opposants à bout de souffle. Car rien ne sert de courir…

J'exagère? Ou pire, vous doutez encore? Homme de peu de foi. Regardez vos éventuels opposants. Un Claude Larose plus gris que les pierres de l'hôtel de ville, au charisme frisant le degré zéro; une espèce d'Iznogoud qui a assez peu de chances d'être calife à la place du calife. Il y a aussi un Régis Labeaume fort sympathique, mais qui a tout à prouver et rien à montrer sur le plan politique. Un bon homme d'affaires, peut-être, un ambassadeur hors pair, soit, mais qui représente un pari politique risqué. Puis il y a un Hugo Lépine, qu'on découvrira peut-être avec le temps, mais qui, pour l'instant, ne détient que la juvénile fougue du débutant comme atout. Et les autres? Quels autres?

Mais peut-être est-ce justement la facilité du combat qui vous rebute? Auriez-vous souhaité vous colleter à un homme de la stature de Jean-Paul L'Allier, Monsieur Bellemare? Et moi qui croyais que l'opportunisme était une "valeur" indispensable en politique…

Soyons francs, vous et moi, nous le savons, vous n'avez qu'à vous pencher pour ramasser ce poste. Aussi, votre désir de faire durer le suspense risque de rapidement tomber sur les rognons de tous ceux et celles qui, contrairement à vous, osent faire le saut dans le vide sidéral de la politique municipale, sans attendre que le tapis se déroule devant eux. Cela s'appelle du courage. Vous connaissez?

Et si le doute subsiste toujours, si jamais la crainte d'être battu vous empêche de dormir la nuit, si elle taraude votre ego chromé d'avocat émérite, j'ai un conseil pour vous, Monsieur. Une assurance tous risques. Un passeport pour la victoire.

Faites comme ceux qui ont repris le comté de Vanier que vous avez laissé vacant, investissez seulement quelques milliers de dollars dans un beau package d'infopubs à CHOI, et vos derniers relents d'incertitude fondront comme neige au soleil.

Mais qu'est-ce que je disais au départ? Ah oui. Fin janvier, froid sibérien. C'est la grande déprime.

Patience, chers lecteurs, ça ne fait que commencer.