Desjardins

Comment te dire adieu

Le passage suivant est extrait de l'ouvrage historique Le Québec à l'aube du 21e siècle, publié en l'an 2025 aux éditions du Décagone.

Faits marquants de mars 2005

Après des coupures de 103 millions dans le régime des bourses, le gouvernement Charest essuie un énième revers depuis son élection. L'insistance des associations étudiantes, les grèves générales et la pression médiatique ont finalement raison du ministre de l'Éducation Jean-Marc Fournier, qui doit reculer, confirmant la déroute du gouvernement. À noter: les principaux acteurs des grèves étudiantes deviendront, quelques années plus tard, des célébrités du monde politique et syndical. Pier-André Bouchard, président de la FEUQ en 2005, sera le principal artisan du troisième référendum pour la souveraineté du Québec en 2019, tandis que Xavier Lafrance, porte-parole de la CASSEE qui refusait de dénoncer les actes de violence commis par ses membres, brillera en tant que président de la FTQ.

Quelques jours plus tôt, dans le monde des médias, c'est dans un mélange de surprise et de stupeur que l'on apprend que le célèbre animateur de radio Jeff Fillion démissionne de son poste à la station CHOI, dont la licence, alors en sursis, sera résiliée quelques mois plus tard par décision de la cour (voir février 2006, p. 425).

Pour la petite histoire, on se souviendra qu'à la barre de l'émission matinale de CHOI, Fillion se démarque d'abord en faisant preuve d'un mauvais goût consommé, à l'instar du renommé Howard Stern, invitant ses auditeurs, dans une série de concours loufoques, à se soumettre aux pires bassesses pour obtenir, par exemple, une augmentation mammaire.

Par la suite, fort du succès que lui ont procuré les provocations de ce genre, Fillion délaisse ce type de radio-spectacle pour s'attaquer avec acharnement à ce qu'il nomme la "pensée unique québécoise", vilipendant un monde politique qu'il affirme noyauté par la gauche, un univers médiatique qui mépriserait le public et un milieu des artistes qu'il considère trop complaisant. Agitateur se donnant des airs d'éveilleur de consciences, il accumule les dérapages sans compter, s'attirant les foudres du CRTC, mais l'Opération Scorpion (enquête sur la prostitution juvénile) écarte la concurrence et lui procure le matériau rêvé pour enfin parvenir au rang de star médiatique: le scandale.

En tandem avec son mentor André Arthur, Fillion s'attaque alors à la bourgeoisie de Québec, attisant la haine de la population pour l'élite politique et médiatique. Ce brillant opportunisme et la chute de son rival, l'animateur Robert Gillet, client du réseau de prostitution, propulsent Fillion au firmament de la radio locale. Sa popularité va grandissant jusqu'à l'annonce de la révocation de la licence de la station CHOI par le CRTC, en 2004, en raison du non-respect des conditions imposées par l'organisme fédéral. On assiste alors à une véritable explosion de sympathie dans le public, celui-ci convergeant dans une immense marche de protestation, s'appropriant la poésie d'Éluard sans le savoir en scandant le fameux "Liberté, je crie ton nom partout". Un slogan qu'affichent les supporters à l'aide d'autocollants distribués en abondance par la station.

Les éditorialistes sont alors partagés quant au sort que devrait réserver le CRTC à la station: certains applaudissent, d'autres y voient cependant un dangereux précédent. Plusieurs années plus tard, les analystes s'entendront pour dire que malgré la profonde débilité des propos défendus, ce cas aura au moins eu comme mérite de nous forcer à remettre en question les paramètres de cette notion de liberté d'expression.

En mars 2005, à la surprise générale, le véritable péril pour la station en sursis emprunte finalement le visage d'une présentatrice météo qui, en poursuivant Jeff Fillion, ses coanimateurs et CHOI pour diffamation, fait tourner le vent en défaveur de ceux qui, jusque-là, profitaient d'un indéfectible appui de la population et de leurs annonceurs.

C'est dans les jours suivant les plaidoiries du procès que Genex Communications, propriétaire de la station, "invite" son animateur à quitter son poste. La controverse, matériau premier dans l'édification de l'entreprise, est devenue une sérieuse menace pour sa survie. Du côté de la presse, la réaction est unanime: bon débarras! Il est de bon ton de danser sur la tombe de l'animateur.

À ce sujet, le rédacteur en chef du journal Voir à Québec admet, dans l'édition du 24 mars 2005: "Ma première réaction fut aussi de me réjouir, mais maintenant, je ne suis plus certain de mes sentiments. Je me sens comme ces soldats qui s'emmerdent quand la guerre se termine, qui reviennent chez eux et auxquels le combat manque. Bref, Fillion était une cible de choix, et comme a dit son collègue Arthur, il ne cessait de fournir des munitions à ses détracteurs: un bonheur! En vérité, je vais beaucoup m'ennuyer de l'haïr."

À la surprise générale, Jeff Fillion reprend le micro en septembre 2010 sur les ondes du FM parlé de Montréal, en remplacement de Paul Arcand, mais la flamme s'est éteinte. Il quitte après une saison désastreuse et se consacre aux affaires en tant que copropriétaire de terrains de golf.