Desjardins

La confiture et la culture

La pédagogie, c'est la science de l'enseignement. Ou si vous voulez, c'est un lubrifiant pour faire entrer le savoir dans le cerveau des enfants.

Un exemple? Un prof au tout début de mon secondaire avait trouvé un mécanisme d'une redoutable efficacité pour nous faire mémoriser l'ordre des planètes du système solaire. Une phrase toute simple, mais dont je me souviens encore parfaitement, presque 20 ans plus tard: Mon Vieux Tu Me Jettes Sur Une Nouvelle Planète. La première lettre de chaque mot était aussi la première du nom de chaque planète, dans l'ordre: Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton. Aussi con que ça.

Parfois, je ne suis plus trop certain: c'est Pluton ou Neptune en dernier? Je me rappelle la phrase, et c'est réglé. Je vous disais que la pédagogie est un lubrifiant, mais parfois, c'est encore mieux, c'est de la Krazy Glue. Le savoir entre, et après, il reste collé là.

En ce sens, la réforme de l'enseignement qui s'apprête à passer au secondaire apparaît comme une absurdité. Comme si les pédagogues avaient poussé le bouchon tellement loin qu'il ne restait plus de savoir, mais que du lubrifiant et de la colle. Rien d'autre.

À Montréal, où la commission scolaire a publié en catastrophe les paramètres d'évaluation de ce nouveau bulletin du secondaire sans notes, les profs déchirent déjà leur chemise. Et ils ont bien raison.

En géographie, par exemple, on demandera à l'élève de construire "sa conscience citoyenne à l'échelle planétaire", lui octroyant une "note" allant d'exceptionnelle à insuffisante, en passant par une déclinaison d'acceptables et de plus ou moins passables.

Tout est question de compétences, jamais de connaissances.

En histoire, il sera encore question de bâtir sa conscience citoyenne, alors que dans d'autres matières, il ne s'agira pas de maîtriser une technique ou d'avoir retenu des principes de base, du savoir, mais de réinvestir sa compréhension des textes, d'interagir, de se développer, et tout le bataclan pédago-psychologique en vogue.

À croire que l'école est devenue un vaste cours de croissance personnelle. On veut que nos enfants soient heureux, qu'ils ne connaissent pas l'échec, qu'ils s'épanouissent, qu'ils s'expriment librement, qu'ils évoluent dans un environnement exempt de tout traumatisme potentiel. Le paradis, quoi.

Pourtant, apprendre, cela fait parfois un peu mal. C'est ce qu'ont compris les Suisses, dont la réforme scolaire – fortement contestée depuis son implantation, il y a 10 ans – a servi de modèle à la nôtre. Réforme sur laquelle ils reviennent désormais, ramenant les notes, le redoublage et autres échelles d'évaluation plus objectives à l'ordre du jour.

Espérons seulement que le ministre de l'Éducation, Jean-Marc Fournier, qui s'y est rendu afin de mieux saisir les écueils encourus là-bas, aura compris l'essentiel du problème, et aussi, pour emprunter au jargon de la réforme, qu'il saura réinvestir sa compréhension de la situation.

Car la pédagogie, c'est utiliser de la confiture pour faire avaler une pilule au goût un peu amer. Mais sans le savoir qu'elle sert à faire passer, cette confiture n'est bonne que pour les tartines.

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Il y a certaines personnes avec lesquelles il est plutôt troublant de tomber d'accord. C'est le cas pour Marc Bellemare. Commentant les dépassements de coûts des rénovations du Palais Montcalm, l'aspirant à la mairie de Québec -qui, à mon avis, et à mon grand dam, n'aura qu'à se pencher pour ramasser le poste – disait à une journaliste du Journal de Québec: "Avec les dérapages financiers, les gens ont la culture en aversion."

C'est vrai. S'il y a un milieu où la sous-évaluation a l'heur de déplaire aux gens, c'est bien celui de la culture. L'infâme, l'inutile, la triviale, la péteuse de broue.

Remarquez, ces dépassements sont un véritable scandale, mais de réduire cela à une culture de la culture est parfaitement malhonnête. Les dérapages financiers sont plutôt une parade politique, et c'est là le vrai problème. Services publics, voirie, autoroutes, métro, recensement des armes à feu, name it, nos gouvernements ont rarement les couilles d'avouer aux citoyens ce qu'il en coûtera véritablement.

Je vous le disais, je suis d'accord avec Marc Bellemare, beaucoup de gens ont la culture en aversion. Mais personnellement, je réserve mon dégoût pour les politiciens opportunistes qui ne ratent pas une occasion d'exagérer les faits ou d'extrapoler malicieusement afin de fédérer les électeurs sous la réconfortante bannière de l'indignation.