Desjardins

La politique dentifrice

Je sens que je vais le détester, cet automne. Ce matin, un brouillard épais comme une purée de pois étreignait la Haute-Ville dans son étau humide et soyeux. Une mère sanglotait dans sa voiture après avoir reconduit son bébé à la garderie, des cégépiens patraques avançaient comme des zombies vers l'arrêt d'autobus, une photo dans le journal montrait un directeur d'école qui s'était déguisé en Mickey Mouse pour accueillir les enfants.

Mon cœur se partitionnait comme un disque dur: un morceau pour pleurer l'été, un autre pour regretter la mélancolique insouciance de mes douze mille sessions de cégep, et le reste pour maudire les directeurs-d'école-super-sympathiques-qui-se-déguisent-deux-mois-avant-l'Halloween-pour-atténuer-le-traumatisme-de-la-rentrée.

D'ailleurs, vous remarquerez, l'Halloween durera tout l'automne cette année. Les employés de la fonction publique emprunteront les traits de saints martyrs, les flics de Québec se déguiseront en innocentes victimes dans la foireuse affaire Simon Marshall et le président de Norbourg mettra aussi souvent que possible son masque d'homme d'affaires intègre pour qu'on ne puisse discerner son sourire de loup. Pendant ce temps, Monique Jérôme-Forget tentera d'enfiler un gant de velours bien trop petit pour sa grosse main de fer, Michaëlle Jean et son prince consort revêtiront leurs habits unifoliés, tandis que les aspirants à la mairie de Québec, eux, se chercheront un costume qui puisse leur conférer un ersatz de personnalité, à défaut d'échafauder un programme qui viendrait rehausser ce qui s'annonce comme une pitoyable campagne électorale.

Parlant de cela, je sens que je vais la détester, elle aussi, cette campagne électorale. C'est que les candidats, en manque de convictions et d'idées, se vendent comme un médicament tout usage pouvant guérir l'ensemble des maladies qui affligent notre ville, soient-elles réelles ou imaginaires. Un médicament, disais-je? Un récurant plutôt. On nettoiera Québec de sa crasse, promettent-ils. Plus blanc que blanc. On l'assainira. On la rendra propre à la consommation. On contrera l'exode, les immigrants afflueront. Québec sera paradisiaque ou ne sera pas.

Que d'intox politique. À les écouter, Québec irait mal. Économiquement surtout. Faudra leur faire parvenir les dernières prévisions du Conference Board of Canada, qui place la ville "au troisième rang des 13 plus importantes régions métropolitaines du Canada" – dixit un communiqué émanant du Pôle Québec Chaudière-Appalaches -, avec une augmentation du PIB de 4 % pour cette année. Bonjour la catastrophe économique!

Que d'intox. Que de boniment. Que de vent dans cette élection municipale dont il ne reste plus à attendre que s'y ajoute la séduisante prose comptable d'Andrée Boucher. De quoi vous donner envie d'annuler votre vote par anticipation.

Vous n'aimiez peut-être pas L'Allier, ou comme moi, vous croyez qu'il était grand temps qu'il lève les feutres. Aussi, peut-être avez-vous constaté qu'un trop long règne confine parfois à la mégalomanie, au culte de soi-même. Mais au moins, cet homme était porteur d'une idée, d'un projet pour Québec. Au moins, vous pouviez voter CONTRE lui, CONTRE ses idées. Comment voulez-vous voter contre une pancarte, contre une campagne publicitaire, contre du vide emballé, tel qu'annoncé à la télé?

Ah non, je sais. Vous voterez pour du changement. Vous aimez ça le changement, non?

Je sens que je vais le détester, cet automne de carnaval où les politiciens municipaux passeront des mois dans leurs habits de père Noël, un automne où nous élirons un maire comme on se choisit un nouveau dentifrice. En s'en crissant un peu pas mal au fond. Avec ou sans bicarbonate de soude? Avec ou sans le machin bleu pour la mauvaise haleine?

Ce matin, un brouillard épais comme une purée de pois étreignait la Haute-Ville dans son étau humide et soyeux. Québec se préparait déjà à faire un choix déchirant. Avoir les dents jaunes ou puer de la gueule.