Desjardins

L’indécence

Is it getting better? Do you feel the same? Will it make it easier on you now you've got someone to blame?

C'est la chanteuse des Cowboy Junkies, Margo Timmins, qui susurre ces paroles de la chanson One, originalement de U2, en clôture du nouveau disque de son groupe que je viens tout juste de recevoir en service de presse. Elle le fait admirablement, chaque mot égrené dans un recueillement quasi religieux, comme elle l'avait déjà fait pour le Sweet Jane de Lou Reed, à l'époque des Trinity Sessions.

C'est drôle, quelque chose m'a frappé en réentendant ce texte: on dirait qu'elle parle à Céline Dion.

Alors, la grande, ça va mieux? T'es sûre? Ça t'a fait du bien?

À ce sujet, je vous vois tout surpris par la crise d'hystérie de Céline chez Larry King et je ne comprends pas votre étonnement. En quoi cette Céline est-elle différente de celle qui hurle son amour presque aussi fort que Whitney Houston, de la Céline qui beugle, encore et encore, même quand elle chante des ballades interdites aux diabétiques, puisque presque aussi sucrées que celles de Lara Fabian? Céline qui braille comme elle chante, en garrochant ses larmes à tout vent, en faisant vrombir les haut-parleurs, en brassant l'air avec ses baguettes… Ça vous surprend vraiment?

Le boutte de la marde, par contre, c'est Céline devenue instantanément l'idole d'une certaine gauche québécoise. Lundi matin, cette gauche, qui normalement la vomit, ne se pouvait plus, trépignait, faisait jouer ses chansons, se retenait à peine de hurler toute son admiration. Céline: l'héroïne du jour. La potiche de la chanson poche devenue l'égérie de la justice sociale qui crie l'incurie du gouvernement américain sur les ondes de la télé nationale.

Vous ne comprenez pas ce qui m'énerve là-dedans, dans cette odieuse récupération? C'est que, malgré tout, Céline Dion lançait un cri compassionnel, un appel à la solidarité, mais surtout au patriotisme, à ce que ce sentiment d'appartenance peut receler de plus beau. "Our country", répétait-elle en entrevue, puisque ce pays, elle en a fait le sien.

Et qu'est-ce que cette gauche québécoise y a vu? Un miroir. Déformant, doit-on préciser. Car dedans, plutôt qu'une critique désespérée, c'est son anti-américanisme qu'elle contemplait, et cela, avec une évidente satisfaction qui n'a rien d'humanitaire, qui n'exprime même pas son dégoût de la guerre, mais qui s'apparente plutôt à la même ignoble posture de certains crétins qui, au lendemain du 11 septembre 2001, trop contents de voir le géant états-unien montrer les fissures dans ses pieds d'argile, se montraient plutôt satisfaits de voir l'Amérique se faire servir sa propre médecine.

Avaient-ils complètement oublié qu'au centre du désastre, au-delà de la politique, il y a des gens? Du monde qui souffre. Du monde qui meurt.

Même chose ici, avec Katrina. Ces corps flottant sur les eaux qui ont envahi la Nouvelle-Orléans ne sont pas justice rendue pour tous les cadavres laissés dans le sillage des G.I. en Irak. C'est du monde ordinaire qui crève.

Cela n'empêche pas de critiquer, tout le monde le fait, les Américains les premiers, de concert avec la presse du monde entier qui juge sévèrement l'inaptitude du gouvernement Bush à gérer cette crise qui plonge une partie des États-Unis dans un chaos qu'elle n'avait plus revu depuis longtemps, et qu'elle croyait appartenir au passé.

La civilisation mise en échec, l'homme revenu à l'état de nature dans un affrontement général que l'on croyait l'apanage du tiers-monde, ce n'est pas rien. Mais de là à récupérer les dérives émotives d'une chanteuse que l'on méprise habituellement parce que cela nous conforte dans une vision manichéenne du monde, il y a quand même des limites. Personne ne mérite tel sort, soit-il américain, palestinien, russe ou serbo-croate.

Je le répète afin que vous compreniez bien: cela n'empêche pas de critiquer le gouvernement, de faire de la politique. C'est même essentiel. Il y a beaucoup trop de politique – budgétaire, surtout – derrière ce désastre.

Mais faudrait peut-être vous enlever ce sourire qui vous barre la gueule.

Ça frôle l'indécence.