Desjardins

Et ça continue

Deux trucs dans l'actualité qui me font revenir sur des sujets dont je traite avec suffisamment de régularité pour que vous m'accusiez, à tort ou à raison, de toujours cogner sur les mêmes clous.

Tac! Tac! Tac! C'est reparti. Les lacunes en français des futurs profs pour commencer.

Nouvelles statistiques qui nous extraient de celles qui nous confinaient autrefois au désastre de l'Université Laval, et qui, du coup, nous permettent de nous consoler en nous comparant: parmi les étudiants en science de l'enseignement, ils sont 79 % à l'UQAT et 76,8 % à l'UdeM à échouer au test de français, contre 69,1 % à Laval (Journal de Québec, 21 novembre). Comme quoi, au royaume des aveugles…

Inutile de revenir sur la métaphore biblique du berger menant ses troupeaux à travers un pâturage dont il n'arrive pas même à lire le relief. Je vous renvoie plutôt à un sondage (SOM-Radio-Canada), commandé dans le cadre du 50e anniversaire des radios publiques francophones, et qui, lui, nous ramène à l'idée de la langue comme expression de sa culture. Puisque c'est là, semble-t-il, qu'est la véritable nature du problème.

Ce que nous apprend cette étude, c'est que dans la région de Québec, 32 % des répondants auxquels on a demandé quelle langue maternelle ils auraient choisie, s'ils en avaient eu la liberté, ont désigné l'anglais plutôt que le français.

La langue comme expression de sa culture, disais-je, et par culture, j'entends une structure, j'entends une sensibilité particulière, j'entends une manière d'appréhender le monde, j'entends le paysage dans lequel nous évoluons comme humains, comme citoyens.

Ainsi, le tiers des gens de Québec changerait volontiers de décor. C'est là tout le problème de notre langue: son mépris, qui va bien au-delà des piètres performances des futurs profs. Ce n'est pas nécessairement une haine de soi, mais peut-être une dérive de l'ouverture sur le monde, sur les autres cultures, qui nous fait négliger la beauté de la nôtre devant l'exotisme, le fonctionnalisme ou les paillettes de ses voisines.

La langue comme expression de sa culture, la langue comme un paysage, disais-je. Cela me rappelle cette citation que j'avais soulignée dans L'Accident nocturne de Patrick Modiano: "un homme sans paysage est bien démuni."

Alors que dire d'un peuple?

Mais je vous parlais de deux sujets, le second étant autrement sordide.

Comme à peu près tout le monde du milieu de la presse, j'ai reçu ma copie de la "biographie" de Nathalie Simard ou, si vous voulez, de l'atroce récit des abus répétés dont elle fut la victime, avec comme trame de fond le rise and fall de son improbable carrière.

Cela me ramène à un autre de mes habituels refrains: la mise à profit du malheur des autres.

En page 134 du livre de Vastel, le chroniqueur politique recyclé en biographe populiste écrit: "Comme toujours, il [Guy Cloutier] exploiterait ce nouveau filon avec un appétit vorace. En fait, Le Village de Nathalie allait devenir la vache à lait de son entreprise…"

Et ce livre, Vastel, c'est quoi? Et l'entrevue exclusive à Arcand, et la chanson à Star Académie, et les innombrables couvertures de journaux, de revues, c'est pas l'exploitation d'un nouveau filon, ça aussi? C'est pas faire preuve d'un appétit vorace? C'est pas la machine synergique d'un géant médiatique mise au service d'un produit people qui rapporte des masses de fric dont la majeure partie n'ira jamais à l'intéressée?

Comme je l'écrivais déjà quand la triste affaire a éclaté: se pourrait-il que dans cette cacophonie de commentaires indignés, il n'y ait finalement qu'assez peu d'empathie, mais plutôt un vampirisme crasse, souvent parfaitement inepte, qui a très peu à voir avec le désir de faire sortir les loups de leur tanière, mais surtout avec le besoin de faire sortir de la copie?

Aussi, on prévoit vendre des centaines de milliers d'exemplaires de ce bouquin. Tant mieux pour la fondation de Nathalie Simard, qui recevra un dollar par copie écoulée. Tant mieux pour toutes les victimes d'abus que cela encouragera peut-être à dénoncer leur agresseur, même si je n'y crois pas vraiment. Et tant mieux, surtout, pour Michel Vastel qui, en déchirant sa chemise une demi-douzaine de fois, se sera offert une superbe promotion, passant ainsi au rang de vedette du showbiz dont l'image se décline en page frontispice des magazines à potins.

Au fait, reçoit-il une piastre par copie lui aussi? Anyway, pour lui emprunter sa formule, je ne peux pas lui demander, pour la simple et bonne raison que je ne peux pas lui demander…

Et Nathalie Simard, elle? Que retire-t-elle de tout ce battage? En page 143 de son livre, on peut lire: "Nathalie et son Village étaient devenus un "produit" qu'il fallait proposer partout et toujours sous le même emballage."

C'est donc le retour à la normale pour cette chanteuse passée de produit à victime, puis de victime à produit.

Est-ce pour cela que me tenaille l'impression que, d'une certaine manière, son cauchemar continue?