Desjardins

Le mépris et l’intolérance

Le résultat de la dernière élection fédérale semble faire l'affaire d'un peu tout le monde. Les libéraux éconduits pour leurs excès d'arrogance, le Bloc toujours puissant et fort, le NPD récoltant un appui plus solide, les conservateurs de Stephen Harper sont donc aujourd'hui à la tête d'un gouvernement minoritaire. C'est bien cela que vous souhaitiez, non?

Malgré cela, Montréal tremble. Non pas d'effroi, mais de dégoût. Comme prise d'une fièvre incontrôlable. Une gastro qui lui ferait vomir la Vieille Capitale.

Comment les gens de Québec ont-ils pu élire des conservateurs? s'y demande-t-on. Ne pouvait-on pas se contenter de faire porter l'odieux aux provinces de l'Ouest, à la banlieue de Toronto, ou à la Beauce, dans le pire des cas? Québec est-elle facho? Est-elle sous l'influence de la secte des X? Est-elle contre l'avortement et le mariage entre conjoints de même sexe?

Laissez-moi vous rassurer tout de suite, personne à Québec n'est allé voter conservateur en songeant au mariage gai ou à l'avortement. Ni même au bouclier antimissile ou au protocole de Kyoto ou à une quelconque question de morale. Aux impôts, à la TPS, au déséquilibre fiscal, alors? C'est plus probable, oui. Mais Québec a surtout voté contre l'arrogance des libéraux, et aussi contre celle du Bloc, ce dernier refusant d'admettre que sa forte présence dans la capitale a contribué à scléroser, voire à amputer, certaines institutions fédérales ayant pignon sur rue chez nous.

En un sens, Québec a donc voté pour quelque chose: l'argent, le pouvoir.

Cela, on pourra toujours le lui reprocher. On pourra opposer à cette vision pragmatique et opportuniste de la politique une autre vision, plus poétique et idéaliste. Ce que j'aurais sans doute fait si le déversement de fiel en provenance de la métropole ne me forçait pas plutôt à défendre ma ville, position inhabituelle pour moi qui, la plupart du temps, surligne ses travers, constate ses fuites d'huile, inspectant le moteur toussotant d'une région qui se cherche.

Impossible, pourtant, de rester muet devant un aussi triste spectacle que celui de la presse montréalaise qui, dissimulant à peine un haut-le-cœur, parachute ses scribes dans la région afin de s'adonner à un exercice journalistique d'une rigueur plus que discutable. Comme ce fut le cas dans la Presse, qui publiait dimanche dernier un reportage peu flatteur à propos d'une ville supposément sous l'influence de quelques "vedettes" radiophoniques. Un article trompeur, contenant des informations erronées, isolant au passage les deux pires demeurés-qui-font-des-jokes-de-fifs qu'il est possible de trouver, parfaits quidams illustrant la profonde imbécilité d'une population de débiles légers. Ne manquaient que les bottes en caoutchouc, les chapeaux de paille et les maladies congénitales pour terminer le portrait.

Que ce soit au Bloc, où l'on cherche "ce qui n'a pas été exorcisé à Québec", ou chez Lacombe, à Radio-Canada, où le chroniqueur Christopher Hall se demandait "Est-ce qu'on est moron parce qu'on vit à Québec ou est-ce qu'on vit à Québec parce qu'on est moron?", incapable de s'adonner à un exercice d'analyse en profondeur, on se réfugie dans le même registre d'approximations, d'insultes et de médisance qu'on reprochait à Arthur et à Fillion.

C'est que l'analyse est complexe, leur accordera-t-on. Impossible de viser juste ici, de mettre un visage sur les "coupables", tous noyés dans une blanche mer de tranquillité francophone. Même les sociologues s'y perdent, multipliant les études dont les résultats sont parfois tout à fait délirants.

Alors autant fesser dans le tas, comme on pêche à la dynamite, avec force et courage.

Ainsi, sans craindre la contradiction, certaines des figures ou institutions montréalaises qui défendent le plus ardemment le multiculturalisme et l'acceptation de la différence à tout crin sont aussi celles qui refusent d'essayer de comprendre les habitants d'une ville située à quelque 200 kilomètres de la leur, et préfèrent sombrer dans le moralisme à cinq cennes, ou le dénigrement de toute une population, sans même noter que dans un comté comme le mien, par exemple, le candidat conservateur n'a remporté la victoire que par quelque 400 voix, ce qui est loin d'être un raz-de-marée de la droite.

Bien sûr, il n'est pas question ici de se réjouir de cette victoire conservatrice qui peut paraître inquiétante pour une gauche dont il n'est pas non plus question de se moquer. Il est plutôt question de mettre un frein à la malveillance, au provincialisme et au chauvinisme de ces mêmes observateurs qui rigolent aussi de voir Andrée Boucher élue mairesse de Québec, oubliant bien vite leur Doré, leur Bourque, et cette difficulté à "vivre ensemble" dont souffre aujourd'hui Montréal, forçant la ville à dépêcher de nouvelles cohortes de flics dans ses rues pour y policer le chaos routier.

Et c'est sans parler de la réélection de Lapierre, de Dion, de Coderre…

Tout ça pour dire qu'avec une telle poutre dans l'œil, les Montréalais n'ont pas de quoi pavoiser ni de leçon à donner aux gens de Québec.

À moins qu'il s'agisse, comme on a pu le constater depuis 10 jours, d'un cours intensif sur le mépris et l'intolérance.