Desjardins

Le pas si merveilleux monde de Disney

Les boutiques dans le Vieux-Québec, c'est un peu comme le câble auquel je suis abonné pour la télé. Une cinquantaine de possibilités, presque toutes des merdes, à quelques exceptions près.

Si on prolonge l'analogie, admettons que, demain matin, on vous dit que, je ne sais pas moi, on met la clé dans la porte de la boutique TVA avec Louise-Josée Mondou et, du coup, on tente de vous convaincre que c'est épouvantable, que c'est toute l'histoire de la télé qui s'en trouve ébranlée.

Allez-vous vous mettre à brailler?

C'est pourtant bien ce qu'on a tenté de provoquer comme effusion, il y a quelques semaines, transformant la fermeture de la boutique La Corriveau en un événement de force majeure, la preuve que rien ne va plus dans le merveilleux monde de Disney qu'est le Vieux-Québec.

Ben vous allez me trouver sans-coeur, mais moi, non seulement je ne pleure pas, j'applaudis.

Je suis cruel? Un peu oui. D'autant que je n'en veux pas particulièrement à La Corriveau, mais au symbole qu'elle incarne: l'arnaque du touriste paumé, la dénaturation d'un quartier historique pour en faire un centre commercial à ciel ouvert.

Car vous n'êtes pas sans ignorer que, dans ce coin de la ville, les commerces d'attrape-nigauds s'alignent avec une navrante régularité. Et dans chacun d'entre eux, les mêmes cochonneries ou presque. Bestiaire canadian (toutous d'orignaux, de castors, de loups), t-shirts aux slogans débiles (genre I only drink beer on days that end in Y), ceintures fléchées, articles pour sportif de salon qui trippe sur 110 %, vestes à carreaux, bibelots hideux.

Fourguer des merdes: c'est le lot de la plupart des boutiques de souvenirs, qui, il y a quelques semaines, pleuraient à pleine page dans le quotidien Le Soleil la baisse de leur chiffre d'affaires.

C'est la faute de ceux qui font mal la promotion de la ville et qui devraient acheter des annonces dans le New York Times et le Boston Globe, gémissait un commerçant, tentant d'expliquer la baisse d'affluence dans le secteur.

Permettez que je lui réponde: vous voudriez qu'on fasse la promotion de quoi au juste? Je veux dire: pourquoi, comme touriste américain, je choisirais la rue Saint-Jean à Québec plutôt que Bourbon Street à New Orleans, par exemple? Mêmes cochonneries, même exotisme fabriqué en Chine, même histoire galvaudée… Sauf qu'autour de Bourbon Street, il reste encore un peu d'âme, celle-là même que l'on persiste à sucer vers l'extérieur du Vieux-Québec, à commencer par ses résidants, qui s'y font plus rares encore que les Vénitiens dans Venise.

Aussi, j'ai bien voulu croire au miracle quand j'ai croisé Daniel, le dernier des Mohicans, un indigène de ma connaissance, proprio d'une splendide maison dans les parages, juste sous la rue Elgin. Une demeure ancestrale absolument magnifique. Jardin à faire pleurer d'envie les gens du secteur, crépi d'origine sur les murs de la cuisine, murs de pierres partout ailleurs ou presque, plafonds lambrissés, foyer fonctionnel au salon, bref, je vivrais là n'importe quand. Sauf que, Daniel, on se fait un peu chier dans le coin, non?

– Oui et non, me répond-t-il. En fait, j'apprécie assez l'anonymat que j'ai ici. Je t'ai croisé aujourd'hui, mais ça ne m'arrive presque jamais de voir du monde que je connais dans le secteur. J'adore ça, sauf que c'est vrai que tout est orienté vers le tourisme ici. En fait, tout est fait avec l'objectif avoué de faire le plus de fric possible. Ce qui n'est pas mal en soi, mais prends la nouvelle boulangerie qui a remplacé le marché Richelieu. Au début, on était ben contents, on se disait: "Enfin, on va pouvoir aller chercher notre pain, ça sent bon et tout." Mais c'est quasiment industriel, leur affaire, et il y a tellement de monde que je suis aussi bien d'aller chercher mes croissants au Pain Doré dans Saint-Jean-Baptiste, c'est moins long de faire l'aller-retour que d'attendre en file à côté de chez moi.

Étrange quand même que, dans le Vieux-Montréal, qui était autrefois un vaste tourist-trap, les commerces de proximité – et de grande qualité – fleurissent et que, depuis déjà quelques années, les "locaux" réinvestissent le secteur, tandis que, dans le Vieux-Québec, on paraît encourager l'exode.

On a beau mettre en place des politiques plus strictes concernant les bed and breakfast et faire chier un restaurateur pour des travaux effectués sans permis, ce n'est pas cela qui redonne vie à un quartier.

"C'est comme un décor en carton-pâte", disait du "Vieux" un visiteur français interviewé dans La Presse la fin de semaine dernière. Voilà une voix qui explique un autre versant du problème: le touriste est peut-être aussi de moins en moins con? Quand vous le plantez au milieu d'autres touristes, dans un milieu pensé pour des touristes, se peut-il qu'il s'en aperçoive et se dise: "Fuck, si j'avais voulu aller au Club Med avec les bronzés, j'y serais allé, et, au moins, y'aurait eu la plage."

Il n'est donc pas question de nostalgie ici, pas question de pleurer une époque révolue d'avant la " disneyification ", mais de se tourner vers le futur pour redonner vie au périmètre. Et cela, avant qu'il ne soit trop tard et que le paysage de conte de fées ne se transforme en décor de ville fantôme une fois les touristes partis.