Desjardins

Le rempart

Québec n'est pas raciste, mais elle est peut-être xénophobe.

C'est pas moi qui le dis, c'est Robert Lepage. Ou enfin, c'est ce que Le Soleil a voulu lui faire dire en plaçant la citation, prise hors contexte, en couverture de son édition de dimanche.

Déclaration trafiquée, manipulation journalistique? On s'en fout un peu, dans la mesure où Lepage ouvre ici la porte à l'examen de conscience collectif, au débat.

Reposons donc la question: Québec est-elle raciste, xénophobe?

En employant "xénophobie", on le comprend, Robert Lepage cherchait un terme qui traduirait la simple peur de l'Autre, une ignorance plus qu'une méfiance.

Sauf qu'en réalité, la xénophobie n'est pas moins chargée de haine que le racisme…

Le racisme, si j'en crois Robert (le dico, pas le dramaturge), c'est la théorie de la hiérarchie des races alors que la xénophobie, c'est l'hostilité à ce qui est étranger. Deux formes de crétinisme, l'un s'inventant des fondements idéologiques, et l'autre relevant de la plus pure ignorance.

Cela dit, si on se fie à la définition de Lepage plutôt qu'à celle du Robert, Québec l'homogène, Québec l'enclave privée du contact de l'Autre, Québec est sans doute un peu xénophobe sur les bords, oui.

Mais il me semble qu'elle est plus hostile à ce qui vient de Montréal qu'à ce qui débarque de Port-au-Prince ou de Santiago…

Et le racisme? Ben oui, Chose, Québec est raciste. La plupart de ses habitants sont racistes. Mais il s'agit le plus souvent de racisme "normal", est-il important d'ajouter.

Quoi, du racisme normal? Eh oui, tout le monde est un peu raciste, qu'on le veuille ou non.

Mais avant que les ligues de défense des droits des Noirs, des Arabes et des Serbo-Croates me tombent dessus à bras raccourcis, expliquons comment on peut banaliser cette maladie qu'est le racisme en lui accolant le qualificatif de "normal", et prenons comme exemple le cas type du bon petit garçon de Québec: moi.

Donc, moi, David Desjardins, je suis raciste normal.

Je ne suis pas le raciste qui crache sur les Noirs et hurle aux Arabes qu'ils volent des jobs. On est là dans la forme la plus primaire et mongole du racisme. C'est de l'imbécillité, de la moronnerie, de la débilité mentale. Et c'est aussi, enfin je l'espère, un racisme en voie de disparition.

Je ne suis pas non plus le raciste qui freakerait que sa fille sorte avec un Mexicain, pas non plus celui qui refuserait d'engager un Cambodgien ou de louer un appartement à une famille d'Ivoiriens. Là, on est dans le racisme insidieux, lâche, qui ne crie pas de noms et ne fait pas dans la propagande, mais n'en distille pas moins son poison social tout en respectant la rectitude politique. Ce racisme-là est encore trop répandu, mais je reste convaincu que, d'une génération à l'autre, il tend à s'amenuiser.

Mon racisme, lui, est nettement plus modéré, et donc, comme je le disais, plutôt normal.

Normal parce que, comme la plupart des gens, et ce, partout dans le monde, je ne suis pas épargné par ce petit cancer qui me fait parfois croire que ma culture est préférable à d'autres dont les valeurs entrent en conflit avec la mienne. C'est une pensée qui me tombe dessus comme un virus et que je tente de chasser rapidement, non sans ressentir un certain dégoût pour moi-même, mais je n'y peux rien. C'est comme ça.

Par exemple, quand je pense aux guerres tribales, à l'excision, aux castes, aux femmes voilées, aux écoles juives orthodoxes en circuit fermé et, dans un parfait exemple de contorsion mentale, au racisme génocidaire de certains peuples, là, je trouve ma culture de laïcité, de tolérance et d'égalité clairement préférable à d'autres, qu'il m'arrive même de considérer comme arriérées, voire carrément anachroniques.

Donc, dans ces moments-là, puisque le racisme est une question de hiérarchie et que les cultures sont souvent le fait de peuples qui peuvent être assimilés à des races, je suis raciste. Mais juste un peu.

Juste un peu, parce que je relativise. Parce que je sais que tout cela est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît. Juste un peu, parce que je suis conscient que ta culture, d'où tu viens, tu n'es pas responsable de cela. Comme de la couleur de ta peau. Juste un peu, parce que je sais que si on ne peut changer de peau, il est parfois presque aussi difficile de s'adapter à une nouvelle culture qui serait aussi loin de la sienne.

Aussi, pour ramener cela à Québec, à son uniformité, la culture des gens d'ici fait parfois l'effet d'un mur contre lequel les autres se fracassent la gueule. Pas parce que les gens sont plus racistes ou xénophobes ici qu'ailleurs. Mais parce qu'ils sont tous semblables.

On y trouve des cons, des gens bien, des racistes idiots, comme partout ailleurs, mais, surtout, une communauté essentiellement "pure laine", francophone, branchée sur une seule et même culture.

Québec est donc hermétique, difficile à pénétrer pour les gens qui proviennent d'ailleurs, mais c'est avant tout parce qu'elle est fortifiée par le rempart de son homogénéité.