Desjardins

Le coeur a ses raisons

Soyons sérieux deux minutes: ce document de travail d'un éventuel programme pour le parti Québec solidaire qui a transpiré dans les journaux il y a quelques jours, c'est vraiment n'importe quoi.

C'est vraiment n'importe quoi, dis-je, parce qu'au fond, les gens de Québec solidaire savent pertinemment qu'ils n'obtiendront jamais le pouvoir, pas même un siège à l'Assemblée nationale, et cela, même s'ils ont enfin évacué du devant de la scène le triste clown qu'est Amir Khadir.

C'est vraiment n'importe quoi, dis-je encore, parce qu'il s'agit d'engagements électoraux pour les 1000 premiers jours au pouvoir de Québec solidaire, et qu'il aurait mieux valu que cela s'appelle les 1000 premiers jours au purgatoire, les 1000 premiers jours dans le couloir, ou les 1000 premiers jours à fumer des clopes sur le trottoir. N'importe quoi, en fait, pourvu que ça rime avec pouvoir tout en s'en éloignant pour aller rejoindre la rue, le seul endroit où Québec solidaire risque d'avoir la parole.

C'est vraiment n'importe quoi, dis-je pour une dernière fois, parce que ce sont là, contrairement à ce que prétendent les membres de ce parti, des projets de rêveurs. Ou enfin, chose certaine, ce ne sont pas des projets de comptables. On s'en convainc rapidement en constatant leurs ambitions concernant la réduction des frais de scolarité à tous les niveaux, les coupures des subventions aux écoles privées (ce qui coûterait encore plus cher à l'État, contrairement à une croyance répandue) ou la création d'une agence pharmaceutique nationale qui constituerait sans l'ombre d'un doute un money pit sans fond et qui trahit une profonde méconnaissance de cette industrie.

Cela dit, Québec solidaire et son programme n'ont rien de triste ou de ridicule, comme l'ont prétendu de nombreux chroniqueurs et éditorialistes ces derniers jours.

À une époque où on reproche aux politiciens une mollesse et une soif de pouvoir qui leur ferait revoir jusqu'aux prénoms de leurs enfants si les sondages s'y montraient défavorables, Québec solidaire se tient debout et s'en va au combat avec la certitude d'en manger une. Et une sincère, mes amis. Mais il y va en se tenant droit, la tête haute.

Vous trouvez ça triste? Moi, je trouve cela admirable. Et surtout, très rare.

Mais ce n'est pas là où je veux en venir.

Histoire de simplifier les choses, de les réduire à des images fortes, on dit souvent de la gauche qu'elle représente les valeurs du coeur, et de la droite qu'elle préconise le cartésien, le cérébral et le pragmatique. La raison, si vous voulez.

Aussi, le programme de Québec solidaire n'a rien de cérébral, de cartésien ou de pragmatique. Il est économiquement déraisonnable. Mais il a du coeur, alors ça oui. Il place le citoyen au centre de la nation, d'une économie qui serait à son service plutôt que l'inverse. Les plus démunis y sont enfin pris en charge. On projette la hausse du salaire minimum à 10 $ de l'heure. Bref, on est complètement à contre-courant de la mouvance actuelle. Complètement à l'envers d'un Québec qui vogue placidement au centre droite de la tiède rivière des idéologies et de l'économie.

Et encore une fois, on a la preuve que le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Je vous l'ai dit, et même répété: ce programme, c'est vraiment n'importe quoi. Mais ce l'est uniquement dans la mesure où Françoise David et son parti entretiennent la prétention de se faire élire.

Ce qui devrait se produire au moment du retour des Nordiques à Québec, pour ainsi dire jamais.

Pour le reste, il y a des trucs un peu nunuches dans ce programme. On nage même parfois dans une vision utopique à la limite de confiner ce document et ses auteurs au ridicule.

Mais au fond, pourquoi pas?

Pourquoi ce parti n'agirait-il pas autrement que tous les autres, en brandissant ses idées avec fierté, en décrétant son désaccord sans que celui-ci ne soit l'habituelle instrumentalisation de l'actualité à laquelle nous a habitués l'opposition officielle? Pourquoi un parti ne défendrait-il pas, pour une fois, et dans une totale absence de cynisme, des idées qui le mèneront à sa perte par pure conviction, avec pour unique objectif de défendre les plus démunis, les laissés-pour-compte et tous ceux qui sont autant de drames dont la multiplication renvoie tristement à la statistique?

Québec solidaire, à défaut d'être une voie qu'on empruntera, devrait simplement aspirer à être une voix qu'on écoutera. Une voix qui chuchotera des trucs graves au coeur de l'homme, et aussi de la femme pour ne fâcher personne.

Et de quelle voix s'agira-t-il?

Je ne sais pas trop. Celle de nos consciences, peut-être.