Desjardins

Ding dong

J'ai écrit la semaine dernière que la vague adéquiste de cette élection marquait la fin des utopies. Ce n'est qu'à moitié vrai. En fait, elle marque la fin de certaines utopies, remplacées par d'autres chimères que sont la famille, les vieux et le pouvoir d'achat de la classe moyenne.

Si, si, des chimères. Car la vérité ici, c'est qu'il n'est pas question de la famille, mais de l'idée de la famille. De sa glorification, de sa valeur morale, mais aussi de son potentiel nationaliste au sens le plus troublant, le plus hérouxvillois du terme. La vérité, ce n'est pas non plus qu'on cherche à préserver la dignité des vieux, mais l'idée de cette dignité. Encore là, la morale, ou si vous préférez, une manière de se donner bonne conscience quand on parque ses aïeux à l'hospice. Et le pouvoir d'achat, lui, ce n'est que le mensonge de la liberté à la clé qu'il promet frauduleusement.

Voilà pourtant les principaux mantras de Mario Dumont que l'électorat qui a soif d'idéaux réalisables et concrets a gobé à pleine bouche.

Peut-on lui en vouloir? Bien sûr que non. Si le citoyen ne rêve plus que pour s'imaginer sur une plage de Punta Cana, ce n'est pas uniquement sa faute, ni celle des politiciens d'ailleurs, puisqu'ils ne fabriquent pas notre culture, se contentant plutôt de l'instrumentaliser pour mieux manipuler. On peut cependant constater l'atterrant vacuum idéologique que laissent dans leur sillage ces promesses façonnées de main de maître à même ces matériaux bruts que sont le mécontentement populaire et l'irrésistible envie d'une nouvelle piscine hors terre.

Si j'en crois plusieurs d'entre vous, penser cela fait cependant de moi un go-gauchiste méprisant pour la classe moyenne, un élitiste, un communiste, un fou furieux indépendantiste (cherchez donc le rapport), un empêcheur de permettre au Québec d'accéder au succès économique, ou pire, un impénitent rêveur.

O. K., si cela vous fait du bien, allez-y, vargez, gâtez-vous. Je vous laisse aller, même si je crois que vous vous êtes déjà amplement fait plaisir au bureau de vote la semaine dernière.

Mais d'abord, deux trucs avant de me transformer en punching bag.

Le premier est cinématographique.

Dans son dernier film, Le Caïman, le cinéaste Nanni Moretti s'en prend habilement à Sylvio Berlusconi en mettant en relief non seulement la malhonnêteté du personnage, mais aussi celle de son discours anti-gauche, anti-État, anti-magistrature, anti-élite. Un discours dont il dénote l'incroyable capacité à fédérer les gens en leur faisant croire qu'on peut les abrutir pour leur bien. Pour preuve, ce moment de pur délire filmique où Berlusconi, proprio de chaînes télévisées privées, prétend devant les téléspectateurs que s'il s'est battu contre l'État afin de permettre l'existence de ses postes – qui, il faut le savoir, proposent probablement une des pires télés au monde -, c'est avant tout pour LEUR bonheur, LEUR plaisir. Qu'il les a enfin délivrés de la grisaille de la télé institutionnelle pour leur montrer ce qu'exposent les danseuses en arrière-plan. Des culs.

Bref, sa télé de pute est une véritable révolution selon lui. Elle est vide, mais répond à la demande du public, donc elle est regardée en masse, ce qui lui donne toute sa légitimité. C'est à croire que Mario a vu le film avant qu'il sorte ici.

L'autre truc, maintenant. Celui-là tient essentiellement de la posture. La mienne.

Politiquement, je suis assez guidoune. Par là, je veux dire que je n'ai d'allégeance pour personne. Pas militant pour deux cennes, je magasine les idées un peu partout. Même que je rêve d'élections proportionnelles justement pour les alliances contre nature que cela forcerait, un peu comme dans le cas de ce gouvernement minoritaire, mais où tous les partis qui ont reçu suffisamment de votes auraient enfin voix au chapitre. Où je veux en venir? Simplement au fait que ces jours-ci, vous m'accusez d'être à la solde des péquistes, mais qu'il y a quelques semaines, ces mêmes péquistes m'accusaient d'être à la solde de l'ADQ ou du Parti libéral.

Ma posture, fort risquée j'en conviens, c'est d'observer attentivement, de relever nos errances collectives, de traquer l'imbécillité, puis de l'exposer, peu importe où elle loge. Si vous ne parvenez pas à saisir cela, ouvrez l'oreille, écoutez attentivement.

Vous entendez la cloche?

Ding dong!

C'est moi qui sonne à votre porte.