Desjardins

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Au moment même où la généalogie génétique (à partir de l'ADN) connaît ses premières heures d'une gloire mitigée, la généalogie traditionnelle vit quant à elle un indiscutable boom. On évalue les adeptes à plus ou moins 25 000 au Québec. Ici, dans la capitale, ils sont au moins 6000 membres de la Société de généalogie, dont 1600 actifs. Une clientèle majoritairement composée de baby-boomers. <p>Ajoutez à cela les innombrables trippeux de sous-sol qui naviguent eux-mêmes dans les registres, inscrivant leurs découvertes sur l'un des quelques logiciels prévus à cet effet pour ainsi remonter l'arbre jusqu'à leurs plus lointains ancêtres.<p>C'est une maladie qui s'attrape autour de la cinquantaine, me dira l'un d'eux.<p>En voyant le joyeux conglomérat de têtes grises qui dodelinent devant les écrans à cristaux liquides des locaux de la société, sise au coeur des archives nationales dans le pavillon Casault de l'Université Laval, j'ai réprimé l'envie de répondre que les symptômes s'aggravent visiblement autour de la soixantaine.<p>Mais vous me connaissez, je suis un garçon poli. Et je n'aurais surtout pas voulu froisser Mariette Parent, la présidente de la société, qui fut autrefois une collègue de mon père. Une femme adorable, qui s'est empressée de me faire visiter les lieux, impressionnants, puis rencontrer des bénévoles de l'endroit qui vibraient de cette commune passion qu'ont les gens qui y travaillent, faisant preuve d'un sérieux qui commande le respect.<p>Pourquoi la généalogie? Pourquoi en parler maintenant? Je ne saurais vous dire exactement. Comme un feeling, une sorte d'intuition qui est venue me surprendre par derrière en regardant les gens ordinaires qui piétinaient en tentant de déterrer leurs racines, leurs valeurs et ce qu'ils souhaitent en préserver dans le défouloir de la Commission Bouchard-Taylor.<p>La sensation que les deux choses se rejoignent en quelque sorte, que ces deux phénomènes se télescopent quelque part. Mais je peux me tromper.<p>Chose certaine, mon intérêt pour la généalogie n'a rien de personnel. <p>Bien que fasciné par la quincaillerie, les banques de données, l'aisance d'un des membres à remonter mon arbre en quelques minutes jusqu'à mon arrière-grand-père paternel (qui était journaliste, je l'ignorais), je le suis encore plus par la passion des gens pour une activité qui ne me dit rien du tout. Simple envie de comprendre, d'apprendre.<p>D'autant que je crois bien plus à la généalogie des idées qu'à celle des gens. Mon arrière-grand-père était journaliste, <i>so what</i>? Je suis bien plus reconnaissant à mon père de m'avoir parlé de Camus plutôt que de son grand-père, car sa perception de la pensée de Camus m'a ensuite amené ailleurs, vers d'autres pistes qui n'ont aucune fin, puisque la pensée n'est jamais achevée, jamais complète, jamais coulée dans le béton, et qu'il n'y a pas de vérité absolue.<p>C'est en remontant le cours des idées que je me fabrique la mienne, que je change ma perception du monde et deviens, je l'espère, un peu moins con.<p>C'est donc la généalogie des idées qui m'intéresse, aussi parce que je ne ressens pas le besoin de m'inscrire dans l'histoire, d'apprendre où étaient des aïeux pendant tel ou tel événement. Je me fiche de savoir s'ils ont changé le cours des choses. Comme de me trouver un héros familial ou un ancêtre autochtone qui me permettrait de jouir d'exemptions fiscales me semble une quête vaine de sens. Mais je souhaite comprendre comment nous en sommes venus à adopter tel système de pensée, de valeurs, morales ou autres. Je veux comprendre notre monde au delà de la petite histoire. Et surtout, bien au delà de MA petite histoire.<p>Pourtant, la généalogie telle qu'on l'entend habituellement et celle des idées que j'évoque ici tentent de répondre aux mêmes questions fondamentales, non?<p>Qui sommes-nous? D'où venons-nous?<p>J'ai l'air de digresser, mais j'avance lentement dans ma recherche de liens entre l'identification de valeurs fondamentales et la généalogie. Entre ces deux quêtes d'identité.<p>Serge Goudreau, qui enseigne l'introduction à la généalogie à l'Université Laval, considère cependant mon approche avec méfiance. <p>C'est plutôt tordu, croit-il. D'ailleurs, selon lui, le véritable trip identitaire se vit surtout à travers les associations de familles, autre truc hyper populaire, venu en quelque sorte raviver l'esprit des grandes familles d'autrefois alors que celles d'aujourd'hui rétrécissent comme peau de chagrin.<p>C'est en discutant avec M. Gariépy, informaticien à la retraite devenu professeur et chercheur pour la société, que je trouve le début d'une réponse à ma question.<p>"J'aime le concret, me dit-il. La généalogie, c'est comme les mathématiques. Chaque problème comporte une solution, et au bout du compte, t'as une réponse", expose-t-il.<p>Et s'il y avait là le début d'une piste?<p>Et si la recherche de ses racines généalogiques donnait l'impression de trouver dans son histoire personnelle et dans celle des autres une forme de certitude sur laquelle s'appuyer dans un monde aux repères fuyants?<p>Pour les plus abrutis, cette recherche se transforme en une sordide éructation collective de certitudes teintées de préjugés racistes dans lesquelles il fait bon de se réfugier. Pour d'autres, plus malins, il s'agit de trouver prise autrement qu'en s'en prenant à ce que l'on ne comprend pas.<p>Évidemment qu'il y a aussi la curiosité, l'envie d'approfondir son histoire, de savoir simplement d'où l'on vient. Mais la chose n'est peut-être pas totalement innocente non plus.<p>Si tout fout le camp, si les idées et le monde qu'elles alimentent changent à un rythme insaisissable, la moindre certitude à laquelle on peut s'accrocher tient sans doute de la bénédiction.<p>Cette certitude, c'est le passé qu'on fouille. Chaque donnée trouvée agissant comme une pierre qui vient consolider cet édifice qui nous empêche de basculer dans le chaos du monde moderne.