Desjardins

Faux rivaux

Mon histoire avec Montréal, c'en est une d'amour, née des cendres d'un autre amour pour une fille que j'avais suivie là-bas dans l'espoir de ranimer un cadavre pourtant bien froid déjà.<p>Pour ajouter au pathétique de la chose, malgré la proximité géographique, tout s'est quand même terminé au téléphone. En public en plus, dans le portique du Jean Coutu au coin Saint-Laurent/des Pins. <p>Le vertige, la nausée. Octobre, il pleut, les jambes me manquent, je me liquéfie sur la grille à l'entrée et les clients me marchent dessus sans s'en apercevoir.<p>Heureusement, cet automne-là, il y avait Montréal pour recoller les morceaux. Il n'y a pas eu d'apprivoisement, de probation, nous nous sommes aimés tout de suite. Je m'y suis immédiatement senti chez moi pour un millier de raisons, mais d'abord pour le dépaysement dont le gamin de 20 ans que j'étais avait cruellement besoin.<p>Dans la fuite en avant, atterrir ailleurs, c'est souvent rentrer chez soi.<p>Je suis revenu ici après le proverbial périple initiatique en Europe, simplement parce qu'on m'y a offert du travail quelques jours après mon arrivée. Et si j'étais surtout passé par Québec pour récupérer mon futon, mes disques et mes livres entreposés chez mes parents, j'y suis resté pour un millier de raisons. Mais surtout parce que je l'aime, elle aussi.<p>C'est dit, je suis aux deux. Québec et Montréal. Elles me fascinent et me désespèrent à peu près également, me mystifient à parts égales, et la connerie de leurs habitants, semblable ou pas, provoque chez moi la même tétanique expression d'horreur, comme Han Solo figé dans la neige carbonique.<p>Vous devinez que je regarde avec distance, et non sans un certain amusement, le battage médiatique (lancé par <i>La Presse</i> et <i>Le Soleil</i>) qu'on fait autour de la rivalité entre les deux villes depuis quelques jours. D'abord, les travers de ma ville, je les connais par coeur. Québec la mal baisée, l'anxieuse, et ce fossé qui se creuse entre ceux qu'on nomme l'élite – dont, paraît-il, je ferais partie -, et les gens ordinaires. Les torts de Montréal, je les connais aussi. <p>Disons qu'ils se résument le plus souvent par cette maxime assassine: Hors du 514, point de salut.<p>Ce que je comprends mal, c'est le réflexe. Celui du mépris de l'autre quand la chose tient pourtant de la méprise. Un malentendu engendré par l'ignorance: qui peut prétendre connaître une ville qu'il n'a fréquentée qu'en touriste? Ou pire, qu'en journaliste?<p>Car le seul personnage plus mal intentionné que le touriste à l'affût du moindre faux pas chez l'autochtone, c'est le journaliste qui cherche à confirmer son idée de départ en manipulant le vrai pour en faire du faux-vrai.<p>Un exemple?<p>Il y a quelques années, le confrère Patrick Lagacé m'avait interviewé dans le cadre d'une série de chroniques à propos de Québec. Le résultat était tellement baveux et mal intentionné que c'en était plutôt drôle. C'était, je crois, l'objectif: faire sourire. Mais comme Lagacé n'avait conservé de notre conversation que les aspects qui me fâchent avec Québec afin de servir son propos, son papier ne reproduisait évidemment pas le vaste spectre de sentiments que m'inspire ma ville. Il n'avait rien inventé, tout ce qu'il rapportait là-dedans était authentique. Mais pas nécessairement représentatif. <p>C'est ce que j'entends du faux-vrai.<p>Cette chicane de clocher a d'ailleurs tout du faux-vrai. Car si la rivalité existe, elle survit surtout parce qu'on l'instrumentalise. "Les médias servent de catalyseur", disait Gilles Parent à Paul Arcand cette semaine, à propos du schisme Québec-Montréal. C'est plus que ça. Les médias fabriquent des crises, pour toutes sortes de raisons, la principale étant de désennuyer le lectorat, l'auditoire; de l'exciter pour qu'il achète de la copie, qu'il fasse grimper l'audimat.<p>Les hommes ont souvent provoqué des guerres parce qu'ils s'ennuyaient. Pareil pour les médias.<p>Ai-je besoin de vous rappeler qu'en temps de guerre, la première victime dans tous les camps, c'est la vérité?<p>LIBERTÉ, TSÉ – Nous étions jeunes, beaux (quoique, contrairement aux autres, j'étais un peu plus gros), très cons et libres. Nous avions trop peu de pudeur, nous étions parfois malhonnêtes, mais surtout amoureux de ce que nous faisions: de la radio. C'était à CHYZ, la station universitaire venait de se voir octroyer une fréquence sur la bande FM, le 94,3. Remarqué par le directeur des programmes de l'époque qui s'amusait de m'entendre me moquer des messages personnels publiés dans <i>Voir</i> (ha!) pendant mon émission, le samedi après-midi, on me proposera une quotidienne, coanimée par mon collègue François Gariépy. Nous tiendrons le phare pendant presque trois ans, et l'émission du midi nous survivra jusqu'à l'an dernier.<p>C'est là que j'y appris la mauvaise foi, et jusqu'où on peut aller trop loin. Choses essentielles au chroniqueur que je suis devenu, pas plus futé que les autres, prêt lui aussi à fabriquer du faux-vrai pour provoquer son auditoire.<p>CHYZ fête cet automne ses 10 ans, et je l'écoute encore pour deux raisons. Parce qu'on y diffuse le meilleur contenu musical, et afin de renouer avec l'esprit d'extrême impunité qui nous habitait à l'époque où nous faisions cette radio en toute inconscience. Si comme moi, il vous arrive cependant de grincer des dents en entendant le bruit que font les jeunes loups qui, trahis par leur inexpérience, s'y cassent les dents, alors souvenez-vous d'un truc: la véritable liberté est tellement rare qu'on ne peut condamner quiconque la pratique pour maladresse.