Desjardins

Trop d’effort

<p>Comment expliquer? Comment dire à ceux qui ne veulent pas entendre que le sport et la culture sont tous deux une vibration, une sensibilité, mais surtout, deux choses qui ne sont pas mutuellement exclusives?<br />Peut-être en essayant de montrer que ces deux univers se ressemblent bien plus que ne voudraient l’admettre les avocats de la discorde sociale, ceux qui entretiennent l’idée que la culture est avant tout une affaire d’élite, et le sport l’affaire du peuple. <br />En fait, l’opposition n’est pas là où on la cherche, là où on l’entretient à des fins électoralistes – comme c’est parfois le cas dans la présente course à la mairie de Québec – ou pour permettre à son auditoire – comme c’est souvent le cas dans les médias de Québec – de se vautrer dans les préjugés qu’on encourage pour mieux fidéliser les croyants.<br />Non, l’opposition n’est pas entre le sport et la culture, elle se situe plutôt du côté de l’effort, et c’est vrai, l’effort est l’affaire d’une minorité. D’une élite. Mais pas une élite sociale, comme le souligne Jean-Louis Murat dans une entrevue où il s’exprime à propos du gavage culturel* provoqué par Internet. «<em>La femme de ménage ou le facteur sont absolument capables de sentiment artistique</em>», expose-t-il en grossissant un peu trop le trait. On aurait envie d’ajouter que le prof de littérature et le scientifique sont aussi capables de sensibilité sportive. <br />N’empêche que le chanteur auvergnat a raison. S’il y a une élite, c’est celle de l’effort, celle qui ne se laisse pas bercer par le divertissement, celle qui est prête à s’extraire de sa zone de confort pour apprécier autre chose que ce qu’on lui enfonce dans la gorge. Qu’il s’agisse de sport ou de culture n’y change pas grand-chose, au fond. <br />Céline Dion et le Super Bowl mènent ainsi un même combat contre l’intelligence, défaite ici par le pilonnage du marketing. <br />Le problème, c’est qu’à Québec, ces arguments ne valent pas tripette. Tout cela parce qu’on a fait de la culture une chose vile, un symbole. Celui de l’ère L’Allier qui renvoie, dans la tête des démagogues, à une idée de copinage, de bourgeoisie, d’exclusion sociale… les dépassements de coûts dans les rénovations du Palais Montcalm servant d’argument massue pour finir de démontrer que pratiques douteuses, gauchisme et élite culturelle marchent main dans la main, pour le plus grand bonheur d’une poignée d’artistes et d’administrateurs qui se délectent d’un petit-lait financé par les deniers publics. <br />Le sport devient ainsi le véhicule de l’avenir qui appartient au peuple, et la culture, le boulet d’un passé exploité par les amis du pouvoir. <br />Ce mantra psychotique, défendu par quelques tribuns médiatiques et des politiciens en manque d’attention, est ressassé avec la régularité métamucilienne requise pour que se confirme une nouvelle fois qu’un mensonge ou une approximation répétés assez souvent deviennent d’indiscutables vérités.<br />Un mantra, disais-je. Parlons plutôt de slogans, puisque cette époque formidable appartient bien plus au publicitaire qu’au spirituel. Peu importe qu’il s’agisse de sport, de culture, de médias ou de politique, les choses se résument le plus souvent à une clip de 30 secondes. Un best of. Les meilleurs moments. Les étoiles du match. <br />Sans doute que des expériences comme la lecture, le théâtre ou le cinéma d’auteur sont incompatibles avec cette époque, surtout en raison de la lenteur avec lesquelles elles doivent être vécues. Pas consommées, vécues. Et cette incompatibilité explique peut-être en partie la facilité avec laquelle on parvient à entretenir le mépris de la culture.<br />Mais il y a plus que ça.<br />Il manque surtout l’envie. Il manque la curiosité, tuée par cette putain de course contre la montre que nous vivons quotidiennement et qui contribue toujours un peu plus à notre abrutissement collectif, puisque l’effort demande du temps, et de se faire chier un peu aussi. <br />Sauf que nous voulons jouir. Pas demain, mais maintenant. Peu importe notre âge, nous sommes des enfants-rois surmenés qui ne demandent qu’à être gavés à la sortie du boulot. <br />Cela, les pouvoirs politiques et médiatiques le savent. Ils connaissent aussi nos faiblesses, frustrations et peurs qu’ils exploitent avec succès. Parmi ces peurs, il y a celle de l’inconnu, de celui dont on craint qu’il nous enlève quelque chose, ou pire, qu’il nous l’ait déjà pris. <br />Cet inconnu, ici, à Québec, ce n’est pas que le musulman qui nous fait grimper dans les rideaux de la Commission Bouchard-Taylor, mais c’est aussi le milieu de la culture dont on choisit de faire une cible facile plutôt que d’apprendre à mieux le connaître. <br />Cela serait trop d’effort. </p>
<p><br />* <em>Entrevue accordée au journal</em> Le Monde, <em>publiée dans</em> Le Devoir <em>du 24 novembre 2007.<br /></em></p>