Desjardins

Le français n’est pas une compétence transversale

<p>C’est à peine si ma fille a trois ans, et déjà, je m’inquiète de son éducation. Pas celle qu’elle reçoit à la garderie, où l’on poursuit de manière exemplaire le travail des parents dans l’apprentissage du monde, de la sociabilisation et de l’art du jeu. <br />Je pense plutôt à celle qui vient après, celle où s’inscrivent les matrices de l’avenir scolaire, social et culturel. Le primaire.<br />Suis-je inquiet en raison de la réforme? Disons que je le suis d’autant plus que j’ai eu le privilège de recevoir une éducation traditionnelle, tandis que plusieurs de mes amis qui ont fréquenté l’école publique souffrent toujours d’avoir été les cobayes de la saveur pédagogique du mois. Encore aujourd’hui, ils constellent le moindre texte d’erreurs honteuses. <br />Si je maîtrise orthographe, grammaire, si je peux lire des textes d’une relative complexité sans trop m’y perdre, c’est parce que j’ai appris à la dure. Des dictées à n’en plus finir, des examens de compréhension et d’analyse grammaticale, des règles apprises par cœur. Des «copie-moi 20 fois “il n’est pas permis de mettre un s à parmi”».<br />Je ne dis pas que c’est là l’unique méthode, seulement qu’on la pratique depuis des lustres, et qu’elle est éprouvée. <br />Est-ce que j’aimais cela pour autant? Bien sûr que non. Je maudissais mes profs, cela m’emmerdait au possible, et comme plusieurs enfants, je répétais sans cesse: «À quoi ça sert d’apprendre tout ça?» Une question sensée, dans la mesure où j’étais l’enfant d’une époque fonctionnaliste que l’on exposait à des méthodes d’un autre âge. Une ère révolue où l’on mesurait la qualité d’un humain à sa capacité de maîtriser non pas des compétences, mais les outils qui lui permettaient d’aspirer à l’excellence, de s’émanciper, d’être libre. De choisir. <br />C’est donc dans la contrainte que j’ai appris la liberté. Et l’effort comme une force qui te permet de produire quelque chose de durable, puisque ce que j’ai acquis dans la contrariété s’est inscrit en moi comme un tatouage. <br />«Tu penses comme nos parents», me disait l’autre jour un prof, l’air dépité, alors que je lui exposais ma vision néandertalienne d’une éducation qui s’apparente à la pratique du sport. Avec ce que cela recèle de douleur, de souffrance requise pour obtenir des résultats, pour évoluer. <br />Peut-être, oui, que je pense comme nos parents. Peut-être aussi que je souhaite simplement mieux pour ma fille que les résultats pitoyables que donne jusqu’à maintenant la réforme dans l’apprentissage du français, et que je me rabats donc sur les méthodes qui ont démontré leur efficacité.<br />Dans l’explication des programmes de l’école (privée!) où je compte envoyer ma loutre, on peut lire qu’on y offre des cours supplémentaires d’anglais, mais aussi de français. J’ai presque hurlé de bonheur en lisant les motivations d’un tel programme, puisqu’on y indique qu’il a pour objectif d’aider l’enfant à maîtriser sa langue maternelle afin de lui permettre de mieux communiquer, de structurer sa pensée et d’accéder à une meilleure compréhension du monde. Simple comme ça.<br />Et que ceux qui reconnaissent ici l’esprit de la réforme et se préparent à me le mettre sous le nez ne se réjouissent pas trop vite. Nous ne sommes pas là dans l’apprentissage par compétences, mais bien dans la maîtrise d’un savoir pur, aux règles parfois absurdes, dont on définit ici les deux principales fonctions: comprendre et se faire comprendre. C’est tout. <br />Toujours à propos de la réforme, dans un des documents desquels elle tire son origine (le rapport Corbo, 1994), on précise que «la préparation adéquate au travail, dont les opérations sont désormais contrôlées par les systèmes informatiques, passe d’abord par la maîtrise des connaissances en langue maternelle et en mathématiques». <br />C’est la base, l’essentiel, l’édifice sur lequel toute l’éducation repose. Sans cette maîtrise, tout fout le camp. <br />Le français vient avant tout le reste, c’est le pivot du savoir. <br />Pas une compétence transversale.<br /> <br />LES ROMANS PAYANTS – Après les spectaculaires annonces sur les échecs de la réforme dans l’apprentissage du français, les fautes commises par les enseignants et les piètres résultats obtenus par les jeunes Québécois dans un examen qui portait sur la compréhension de textes, cette nouvelle est presque passée inaperçue. Publiée à la toute fin du cahier A de samedi dans La Presse, elle était chapeautée du titre: «Les romans rendent plus riches». <br />La lecture de romans ramenée au rang de moteur économique? C’est ce que prétend le National Endowment for the Arts, un organisme gouvernemental états-unien. Selon son étude, la lecture de romans serait non seulement bénéfique pour l’imaginaire, mais elle aiguiserait aussi la compréhension de textes, permettant aux travailleurs de mieux saisir le sens et les subtilités de documents relatifs à leur emploi. Qu’il s’agisse d’indications relevant de la  manipulation de machinerie ou d’un travail de bureau. <br />Ainsi, comme le prétend l’organisme, la baisse dramatique du nombre d’heures consacrées à la lecture affecterait notre productivité.<br />Dans une société qui bande dur sur l’économie, voilà probablement le seul argument en faveur de la lecture qui risque d’avoir de véritables répercussions du côté des décideurs.<br />Je devrais être content, et pourtant non. Comme l’impression qu’on vient de rendre payant un acte gratuit. C’est qu’il en reste si peu.<br /> <br />LE PONT DE QUÉBEC – Cela n’a strictement rien à voir avec ce qui précède, mais je m’en voudrais de ne pas vous féliciter d’avoir élu Régis Labeaume comme maire. Pas en hurlant de joie ou en vous émiettant les vertèbres de quelques viriles tapes dans le dos. Ce n’est d’ailleurs pas le genre du bonhomme, un habile politicien qui, plutôt que de gueuler, a passé presque toute la campagne à chuchoter à l’oreille de tout le monde ce que chacun voulait entendre. <br />J’ai l’air sarcastique, mais non. Je vous félicite sincèrement, parce que j’ai pour une fois l’impression d’avoir affaire à un lucide sensible, quelqu’un qui pourra réconcilier cette ville et soigner sa schizophrénie plutôt que de se donner en spectacle en jetant de l’huile sur le feu. Quelqu’un qui viendra faire le lien entre les milieux des affaires, de la culture et du sport. Un gars de business avec un cœur, une âme. Le pont dont Québec a cruellement besoin.  <br /></p>