Desjardins

Des chiffres et une lettre

<p>1 MILLION – C’est le genre de nouvelle qui, en début d’année, passe généralement sous le radar: le gouvernement de Stephen Harper investit un million de dollars dans un sondage afin de vérifier le succès obtenu auprès de l’électorat dans sa guerre contre l’utilisation de drogues par les jeunes (Presse Canadienne, 8 janvier).<br />Notez qu’on n’investit pas ce million dans la prévention, ou mieux, dans la recherche qui permettrait de comprendre l’augmentation de la consommation de drogues chez une population donnée. Ce que l’on mesure ici, c’est le taux de satisfaction de la clientèle. Car c’est là l’unique résultat qui compte: comment cette politique orientée sur la répression est-elle perçue, et de quelle manière cette décision du gouvernement fédéral d’intensifier sa lutte contre la drogue en durcissant le ton pourra-t-elle améliorer ou détériorer l’image des conservateurs?<br />La même nouvelle rapporte qu’en 2007, ce gouvernement a engouffré 31,2 M $ dans ce genre d’entreprise, commandant en moyenne deux sondages par jour ouvrable. <br />Chaque année, de mon côté, je prends la même résolution: être un peu moins cynique. Et chaque année, ce genre de nouvelle me reconduit dans les mêmes vieilles ornières que je tente pourtant de fuir.<br />Dans le cas qui nous intéresse, c’est tout simple. Le seul avenir qui intéresse vraiment le politicien au pouvoir se résume à sa réélection. Réélection qui passe par l’adoption de mesures qui lustrent son image auprès du public. Son intérêt pour le bien commun, lui, relève d’un fantasme d’idéalistes vaguement gagas dont je souhaite par ailleurs que l’actualité me laisse un jour joindre les rangs pendant plus de 15 minutes. On peut rêver, non?<br /> <br />15 MINUTES – Toujours ce quart d’heure maudit pour vous dire que je n’ai pas pu supporter plus longtemps le triste spectacle que nous proposait le Coup d’envoi des fêtes du 400e. Et si ce n’avait été des Batinses, ovni d’authenticité au cœur de cette imbuvable mélasse, je n’aurais pas même duré 10 minutes. <br />Je regardais la chose en différé, quelques jours plus tard, et je me suis tiré du salon au bout de quelques chansons du medley interprété par des chanteuses fagotées en duchesses de Carnaval puffées. Pus capable d’endurer tel massacre, telle horreur, mais déçu, surtout.<br />Déçu d’avoir été floué. Déçu de ma propre naïveté. Franchement choqué d’y avoir cru, d’avoir pensé que malgré toutes les médisances concernant le budget de la fête et le choix de Denis Bouchard comme metteur scène, on allait nous servir un produit de qualité, à la hauteur de nos attentes, que nous allions être surpris, ravis… Et ils n’ont même pas été foutus d’être à l’heure pour le décompte du nouvel an.<br />C’est d’ailleurs ce qui résume le mieux les problèmes du 400e au cours de cette dernière année de préparation: le décalage. L’impression d’avoir affaire à du monde déconnecté, d’une maladresse impardonnable devant l’ampleur de l’événement. <br />Qu’on change maintenant de tête dirigeante pour la remplacer par Daniel Gélinas, dont la feuille de route commande un minimum d’espoir, c’est quand même un bien petit plaster sur une telle blessure. <br />Me voilà donc dans cette inconfortable posture, presque impossible. Une sorte de contorsion de l’esprit. Comme un reste d’enthousiasme que toutes les bourdes des dirigeants de la fête ne sont pas encore parvenues à éteindre auquel s’ajoute, irrépressible, l’envie qu’arrive enfin 2009 pour qu’on en finisse avec ce putain de mélodrame. <br /> <br />UNE LETTRE – <em>M. Desjardins, j’aimerais profiter de vos conseils… <br />Voici le topo: j’ai étudié au bac et à la maîtrise en histoire, j’ai lu, lu, lu des ouvrages historiques à m’en rendre malade. Puis je suis arrivé sur le marché du travail, métro-boulot-dodo et exode dans la nature chaque fois que cela s’avérait possible. Pour oublier… peut-être. Bref, la lecture a pris le bord et j’aimerais y revenir. Mais comme dans tout retour, il faudrait que ça «fesse fort»! J’ai envie de triper, d’être exalté!<br />Voilà où vous entrez en jeu. Auriez-vous, dans ce contexte un peu particulier, quelque chose à me suggérer? Un peu de philo, un peu de questionnements, de l’enivrement, de l’amour… Je suis prêt à tout! Je pars en voyage, l’avion, le train, l’autobus, les cafés… Quoi de mieux pour entreprendre une nouvelle lecture? Signé: Simon <br /></em>Comment vous répondre, Simon, autrement qu’en vous disant que je ne suis pas trop sûr de pouvoir vous aider vraiment. Vous voulez que ça fesse fort? OK. Mais être exalté, triper? Je vois plus les livres comme un vilebrequin qu’un marteau pneumatique. <br />C’est comme quand vous vous sauvez dans le bois. Sur le coup, c’est vrai que le silence a quelque chose d’enivrant, mais au bout d’un moment, il vous habite. Vous ne vous en rendez plus compte, ça n’a plus rien de frappant, mais c’est là que vous changez, que la nature vous transforme véritablement. Vous me suivez?<br />Anyway, je viens de lire un truc fascinant, mais ce n’est pas un roman, et je ne suis même pas certain que ce soit traduit en français. Cela s’intitule <em>Into the Wild</em>, et on vient d’en faire un film. Le synopsis est simple: Christopher McCandless laisse tout derrière lui, et au terme d’une longue quête spirituelle qui l’amène aux quatre coins de l’Amérique, il prend le bois au fin fond de l’Alaska avec pour seuls bagage et équipement un sac de couchage, des bouquins, une .22, un couteau et une poche de riz. Des chasseurs le trouveront mort quelques mois plus tard. John Krakauer, journaliste au magazine Outside, retrace la piste du jeune homme début vingtaine afin de mieux comprendre ce qui l’a poussé à commettre cet acte d’une extrême témérité. <br />Ce n’est pas un roman, disais-je, mais c’est presque aussi bien. D’abord parce qu’on suit les aventures du jeune homme avec fascination. Et aussi, parce que l’auteur a parfois extrapolé, se mettant à la place de ce jeune homme en quête d’absolu, obsédé par les écrits de Thoreau, et aussi de Tolstoï, dont il aurait cependant dû retenir une parole célèbre, qui lui aurait peut-être sauvé la vie. Soit que tous les hommes font la même erreur, de s’imaginer que bonheur veut dire que tous les vœux se réalisent. <br /></p>