<p>Septembre 2006. Fin de soirée, la lumière crue des néons blancs de l’aéroport P.E.T. donne au visage des voyageurs une pâleur quasi spectrale. Comme une sorte de halo qui accentue les signes de fatigue chez tous ces gens qui errent, perdus dans un espace trop grand, l’air hagard.<br />Venu à bout d’une interminable attente aux douanes, puis d’une fouille complète de mes bagages (on ne m’a visiblement pas cru quand j’ai déclaré moins de 80 $ d’achats pour cinq jours passés à New York), j’attends patiemment devant le comptoir d’Air Canada. Une formalité. Je dois enregistrer ma valise pour le dernier vol qui me mènera de Montréal à Québec à bord d’un de ces détestables coucous à hélice qui assurent le service entre les deux villes.<br />– Votre valise est trop lourde de deux kilos, me sermonne le commis.<br />– Ah, fais-je, plutôt surpris, mais surtout irrité par le ton de l’employé qui se prend visiblement pour ma mère, et me confond avec un gamin de huit ans pris à fouiller dans les bonbons d’Halloween de sa sœur.<br />Précisons qu’on ne m’a rien dit à ce sujet au comptoir Air Canada à La Guardia (NY), où tout semblait parfait, et outre un chandail, trois livres de poche et un minuscule train en bois acheté pour ma fille chez FAO Schwartz, il n’y a rien de plus dans ma valise qu’au départ.<br />Le commis prend un air grave. Il extrait d’un tiroir un rouleau d’autocollants orange dont il tapisse ma valise: lourd/heavy, peut-on y lire. Au moins, le personnel au sol bénéficie-t-il, lui, d’un service bilingue.<br />– Je ne vous imposerai pas de supplément, mais les employés responsables des bagages pourraient se blesser en levant quelque chose d’aussi lourd, poursuit-il, sur le même ton détestable dont on espère qu’il trahit une profonde solidarité entre les différents corps de travail chez le transporteur aérien.<br />Mais non. Ce qu’attend le commis, c’est ma gratitude. Je le comprends lorsqu’il insiste: bon, pas de supplément pour cette fois, mais faites attention. Je suis flabbergasté, je ne dis rien, mais le regarde comme on observe un enfant qui nous donne des ordres, amusé et irrité à la fois. Il rajoute, comme si j’étais un débile léger: <br />Vous n’avez pas compris, hein? Pas de supplément aujourd’hui, mais la prochaine fois, faites attention.<br />Le voilà qui souligne la magnanimité de son geste et je comprends trop bien qu’il voudrait que je le remercie, ou mieux, que je m’excuse. Pardon Mononc’, je le ferai plus, promis. Une courbette avec ça?<br />Et voilà. Toute cette insignifiante histoire personnelle pour vous dire que dans ces deux histoires mettant en cause Air Canada la semaine dernière, soit le refus d’embarquer un passager qui réclamait des services en français et celle des voyageurs laissés au sol à Buenos Aires, c’est aussi le ton et la manière qui m’ont le plus agacé.<br />Lorsqu’un journaliste a demandé à la porte-parole du transporteur si sa compagnie allait défrayer les coûts de l’hôtel pour les 90 passagers cloués en Argentine, elle s’est contentée de rétorquer: «Pas du tout. Comme c’est une situation qui est hors de notre contrôle, nous ne sommes pas responsables de cela.» Entre ça et «qu’y mangent d’la marde», vous voyez une différence, vous? La compagnie s’est finalement ravisée et s’est entendue avec les passagers lésés pour défrayer les frais d’hôtel et de restaurant. <br />N’empêche, il aura fallu insister pour obtenir un minimum de service, voire même de décence.<br />Le cas de cet homme qui réclamait des services en français est différent, et on devine qu’il a sans doute un peu fait suer le personnel. Mais lui refuser l’accès à bord et appeler la GRC pour le faire taire? Quelle arrogance. Quel mépris.<br />Une arrogance et un mépris qu’on assimilera (sans doute à juste titre) à de la francophobie, mais de façon plus large, une arrogance et un mépris qui s’apparentent le plus souvent à un intolérable power trip devenu la culture d’une entreprise qui sait qu’elle peut se permettre ce genre de petit jeu débile avec une clientèle captive, impuissante, incapable de se défendre dans les circonstances.<br />À croire que chez Air Canada, on réserve le même sort au service et à l’empathie qu’aux lunchs proposés à bord. Préparés chez Subway, pas toujours décongelés au moment de vous les servir.</p>
<p>UNE LETTRE, LA SUITE – Une gentille lectrice m’informe que le livre dont je vous parlais la semaine dernière, <em>Into the Wild</em>, a bel et bien été traduit en français. Ça s’appelle <em>Voyage au bout de la solitude</em>, et elle est cent soixante millionième sur la liste d’attente de la bibliothèque pour l’obtenir, puisqu’il n’est plus disponible en librairie pour le moment (vérification faite auprès de mon libraire favori, on attend une réédition, toujours aux Presses de la Cité, d’ici la fin du mois).<br />Cette même lectrice qui travaille au Clap m’encourage à aller voir le film qu’elle décrit comme splendide. C’est du Sean Penn, la critique ne tarit pas d’éloges, et je voulais y aller, mais il n’est venu à Québec qu’en traduction. Et les traductions, je suis juste pas capable. Même pour un film chinois? Eh oui, même pour un film chinois, ou serbo-croate, ou ouzbek.<br />Bien sûr, me direz-vous, les sous-titres, ça déconcentre. Peut-être. <br />Mais jamais autant que d’entendre Yves Corbeil et d’avoir l’impression, tout au long du film, qu’il s’apprête à nous annoncer les gagnants de Célébration 2008.<br /></p>
Air Subway
David Desjardins
La chronique du mal français
Alors notre français minoritaire-majoritaire se fait encore couver par la presse, qui surement au dernière statistique, si ce n’est les avants dernières, de stat. Québec, ou stat. Canada, fût chiffrer dans le percentile des motifs de colère. Excuser moi, je n’ai pas lu la dernière chronique d’info Québec sur le pouls social de-son-va-tout-mal. Il y a donc eu motif suffisant pour une petite récupération de presse qui par répétition cherche à enfler l’indignation populaire afin vendre de l’exemplaires. La trouvaille fût un irréductible gaulois qui brimer a la porte du ciel d’Air Canada a juré en gaélique qu’on ne le ferait pas cracher en saxon. Son cri, assez rempli de colère pour rameuter la presse, fût donc relayé jusque dans nos salons. Disons le tout net, le préposé au ticket d’Air Canada a manqué de tact, car ne pouvant s’exprimer comme Molière, il aurait pu donner un coup de coude a son collègue pour servir le monsieur fâché dans son patois. Cet Air Canadien devrait, a défaut de servir chacun dans son jargon, enseigner a ses subordonnés la manière pour nous faire croire que c’est ainsi qu’elle le fait.
AIR CANADA A PERDU DES PLUMES
Depuis l’an 2000, ce transporteur aérien a baissé énormément dans mon estime. D’une immense admiration, lors de mes premiers vols internationaux jusqu’à récemment, la baisse de classe proposée lors de mon dernier vol pour Vancouver, via Montréal, m’a énormément déçu. Le service à la clientèle est devenu vraiment ordinaire, comparativement à avant et il peut souvent surprendre énormément en l’ayant déjà connu sans reproche. Ne sachant s’il s’agit d’une baisse de salaire pour les employés ou autre d’autres éléments inconnus, mais ces avions ne volent plus aussi haut.
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Dû à un retard du taxi, le personnel de l’accueil nous demandait de faire la file derrière les passagers des vols suivants, malgré notre retard compréhensible. Après insistance, on finit par nous accorder une priorité, en demandant au pilote de nous attendre, puisqu’il signalait le départ sans que nous ayons pris place à bord. Au retour, entre Vancouver et Québec, avec un transfert à Montréal, on m’a offert un croissant pendant toutes ces heures de vol. Un mal de tête a suivi et est demeuré depuis, en pensant à Air Canada. Air Cubana m’a procuré un voyage beaucoup plus agréable que notre fierté nationale injustifiée.
Je déplore avec vous cette tendance de plus en plus répandue d’avoir à exiger d’être traité de façon respectueuse et équitable. Air Canada est le prototype d’institutions qui vont bouger si vous le demandez. Combien de compagnies ont aménagé une série d’avantages qu’il nous faut connaître pour en bénéficier ? Combien de frais cachés nous découvrons quotidiennement. Vous êtes un bon client tant que vous restez silencieux. Par exemple, j’ai été un client responsable (bon payeur) avec Pétro-Canada pendant plus de 30 ans. Cette année, je change ma vieille fournaise à l’huile pour une électrique et demande que la compagnie enlève le restant du mazout dans le réservoir. À mon grand déplaisir, j’apprends du préposé que le service me coûtera seulement $250.00 et que les litres d’huile retirés ne me seront pas payés. Devant mon incrédulité et ma colère respectueuse, il me glisse que je peux faire appel à un de ses intermédiaires qui me révèle que le coût du service est seulement de $125.00 et que le prix remboursement se fera sur la base de 10sous le litre. Misère. Moi, le client exemplaire, je suis devenu pour la compagnie (Pétro-Canada fait des centaines de millions de profit) un zéro exemplaire. Le pouvoir corrompt mais l’argent aussi. Tout cela pour dire que que votre constatation sur les relations entre service et client dérive et je propose ma petite explication.
Je veux vous parler du « power trip ». Nous retrouvons ce phénomène dans toutes les organismes privés et publics. Il y est particulièrement présent dans des organismes qui ont un certain pouvoir sur la destinée des gens. Je l’ai remarqué par expérience puisque j’ai travaillé à la DPJ pendant près de 30 ans.
J’ai vu à plusieurs reprises cette attitude dans la relation entre l’intervenant et le « bénéficiaire ». Ce terme consacré laisse entendre que celui qui reçoit le service devrait avoir une attitude de gratitude. Ce terme est inapproprié et met en place un type malsain de relations qui se concrétise souvent en un rapport dominant-dominé. L’exercice d’un certain pouvoir exige que l’individu soit conscient de sa position de force et qu’il prenne garde de l’utiliser de façon essentiellement punitive.
Il y a eu des dérapages importants au cours des dernières années. J’énumère ici des moyens pour éviter de tels débordements.
1) Éviter la familiarité. Le vouvoiement est toujours de rigueur, L’habillement doit être approprié.
2) Être toujours franc avec les clients. Utilisez des termes qu’ils comprennent et le ton doit être respectueux.
3) Dès le départ, clarifiez votre statut et rôle. Vous ne serez jamais un ami, un « mononcle » ou un père. Votre intervention est régie par un certain nombre de lois. Vous avez une marge de manoeuvre mais celle-ci n’est pas illimitée.
4) Les services que vous rendez sont payés sous forme d’un salaire ou d’une rémunération. Le client n’a rien à voir dans cette situation. Il ne doit pas subir vos foudres si vous vous considérés sous-payés.
Ces simples précautions éviterons peut-être le développement encore plus grand de cette plaie (l’abus de pouvoir) dans les relations entre les individus.
Un intolérable power trip devenu culture dans nos institutions publiques, également. J’en témoigne de l’intérieur du ventre du dragon de ces monstres de vanités, de ces professionnels ou pseudo… qui exercent leur mépris et leur paternalisme humiliant sur leurs subalternes ou leur clientèle.
Mais faut-il s’en étonner dans une Amérique où les structures hiérarchiques placent à son sommet le mythe du self-made-man, facile alors de comprendre l’égotrip de ces petits gestionnaires la-queue-entre-les-jambes encore plus syndiquées que les syndiqués eux-mêmes et jamais responsables de rien.
Les attitudes, pour ne pas dire les lubies, qui se sont développées dans le monde du trafic aérien et ailleurs depuis cet événement si bien médiatisé, impliquant des passagers aux passeports indestructibles et une foule d’autres qui ne pouvaient en dire autant, mais qui sont bien morts eux aussi dans cet écrasement célèbre contre les murs d’une tour à bureau, ont complètement pourri le climat pour les voyageurs.
Les contrôleurs se sentant investis d’une mission divine sous l’œil du Tout-Puissant qui les regarde pour empêcher que le mal ne se répande sous leurs propres yeux, en viennent à soupçonner tout un chacun d’en être le propagateur. Ils nous donnent parfois l’impression d’être membre de l’armée du bien en pleine croisade contre ceux de l’armée du mal. Ils ont l’air de se dire parfois : celui-ci ne serait-il pas un passager anonyme pour la Syrie ? ; celui-là ne ferait-il pas courir un danger mortel à toute une nation si nous le laissons s’embarquer avec ses cent cinquante millilitres non réglementaires de pâte dentifrice pour un vol au-dessus des États-Unis ?
Le refus de s’adresser en français à un passager qui l’exige tient en partie à cette attitude bâtarde et en partie aussi à un vieux réflexe de xénophobie refoulé par les avancés de la place du français dans les airs et ailleurs.