<p>Dans le dernier numéro de l’hebdo culturel français <em>Les Inrockuptibles</em>, le chroniqueur de la section livres s’en prend aux nouveaux auteurs américains en vogue. Son reproche? C’est simple, ils sont trop gentils.<br />Leur opposant Bret Easton Ellis et Jay McInerney qui, dans les années 80, se nourrissaient d’une époque nihiliste, de leur génération no future, les pieds bien plantés dedans, il reproche aux Nicole Krauss (<em>L’Histoire de l’amour</em>) et autres Jonathan Franzen (<em>Les Corrections</em>) de chercher dans l’histoire de leurs grands-parents ou de leurs parents les liens d’une filiation disloquée, et de faire de leurs romans des mausolées. <br />Tandis qu’Ellis et McInerney se dissolvaient dans la drogue et l’alcool au temps présent, qu’ils consommaient une époque parano, superficielle, dopée au sexe et à l’ambition, les nouveaux auteurs préfèrent avoir des enfants, mener une vie rangée et triturer le passé de leurs aïeux pour extraire des morceaux de beauté. <br />Visiblement déçu du résultat, le chroniqueur pose cette question: fait-on de la littérature avec des bons sentiments, et des écrivains avec de bons enfants? Pas sûr, répond-il. <br />Précisons cependant un truc. Le ton de Bret Easton Ellis lui était dicté par l’air du temps, comme celui des jeunes auteurs cités ici. Par là, je veux dire que le premier n’a pas plus de mérite que les autres parce qu’il s’explosait la gueule et eux pas, puisque tous se contentent d’aller dans le sens de leur époque. Chacun la sienne. <br />Et au risque de fâcher Beckett qui prétendait qu’il valait mieux éviter de décrire son époque, de la comparer aux autres ou d’en faire le procès, il faut avouer que celle dans laquelle nous évoluons présentement carbure à fond aux bons sentiments. <br />Sauf que les romans de Krauss et Franzen n’en sont pas les plus pénibles exemples. <br />Chaînes de bonté, rénovation de maisons pour familles en détresse et autres téléréalités du même ordre, voilà le nouveau fantasme d’une Amérique soudainement obsédée par son prochain depuis le 11 septembre 2001. <br />Même si on bande toujours en regardant des lofteurs tarés se peloter sous les couvertures, même si on se rassure sur sa propre intelligence en constatant la bêtise abyssale des potiches chromées d’Occupation double, en même temps, on cherche de plus en plus à vivre le bonheur de donner et de recevoir par procuration, via la télé, se laissant doucement couler dans ce rassurant bain de bonnes intentions. <br />«Tout le monde fait le même rêve porno de se tenir la main», chantait Luc De Larochellière dans <em>Cash City</em>. <br />Disons que c’est pas mal ça, oui. La porno désormais normalisée, le sexe partout tout le temps, les relations humaines en vente libre sur les sites de rencontre, voilà l’amour désintéressé, l’entraide et la famille devenus le fantasme occidental par excellence.<br />Évidemment, les naïfs se réjouiront de la chose, alors que les paranos (ou lucides, c’est selon) dans mon genre en seront atterrés. <br />Parce que ce succès d’une culture des bons sentiments, c’est rien de moins qu’une capitulation. La phase terminale des idéaux d’égalité, de fraternité, de partage, et de cette idée désormais caduque du bien commun.<br />L’empathie est devenue un spectacle que l’on consomme seul chez soi. Comme le sexe, les bons sentiments sont passés du côté obscur. Et les romans cités plus haut n’échappent pas à cela, même s’ils sont d’une beauté magistrale (c’est le cas de celui de Krauss). Car encore là, nous consommons notre propre fracture d’avec les autres en lisant ces histoires tristes et belles, plus près du fantasme sentimental que de la réalité, et nous nous roulons dedans, sans pudeur. <br />Vous trouvez étrange que l’Occident, qui penche de plus en plus à droite – lire du côté de l’individualisme –, surtout dans le domaine économique, se découvre du même coup une fascination pour les gens dans le besoin et l’amour du prochain? <br />C’est un peu comme les nations les plus puritaines qui, on le sait, sont aussi celles qui abritent le plus grand nombre d’amateurs de pornographie. Qu’il s’agisse de cœur ou de cul, nous sommes englués dans la même consternante hypocrisie. <br />TOUT EST PARFAIT – Mardi. Lendemain de déneigement (encore!), 6h45, je sors de chez toi, et tout est nimbé d’un bleu franc, polaire, glacial. Un bleu aiguisé, coupant. Comme chaque lendemain de déneigement, les rues et les trottoirs ont un relief lunaire où l’on ne distingue que les traces des chenillettes, rappelant celles que laisserait un module spatial à la surface d’une planète couverte de poussières ou de cendres. <br />Première trace dans la neige damée: un petit pas pour l’homme, mais un pas de géant dans la nordicité. <br />Tout est figé. La transmission manuelle de la voiture, les arbres, mes mains, la dame qui distribue le <em>MédiaMatin</em> au coin de Lamontagne et de la 1re Avenue, les colonnes de fumée de la Stadacona qui s’élèvent dans le ciel telles deux sentinelles d’une blancheur trompeuse. <br />Le bazou cahote en direction de Champlain, puis tout à coup, comme un flotteur accroché à une ligne qu’un poisson aurait tiré, puis lâché, le soleil émerge d’un bond hors du fleuve. Pop! Le voilà qui prend toute la place, une lumière hurlante, les glaces sur le fleuve passent du bleu au rose, puis du rose à l’orange, les eaux libres s’irisent d’impossibles violets. <br />Et Lou Reed choisit justement ce moment pour retontir, comme une drôle de coïncidence dans le iPod plogué sur l’autoradio: «<em>It’s cold in Alaska, it’s cold in Alaska</em>.» <br />Là là, pendant deux secondes, plus rien n’existe, plus rien n’a de sens. Je suis nulle part, je suis juste dans l’hiver. <br />Fuck le 400e, fuck le Carnaval. Fuck les râleurs pathologiques et les indécrottables optimistes. Fuck vos gimmicks, les gouvernements minoritaires et la dictée. <br />Là là, maintenant, il n’y a que la beauté de l’hiver qui m’explose en pleine gueule. Là là, il n’y a que la musique, le souvenir de ton odeur au p’tit matin, la lumière qui m’aveugle et me rend sourd aux conneries du monde. Là là, tout est parfait. <br /></p>
J’ai adoré ta façon de décrire ce matin d’hiver… Trop peu de gens ont conscience de l’importance de vivre l’instant présent, de se laisser envelopper par lui jusqu’à en oublier d’exister… Société stressée vivant dans le passé en pensant constamment au futur, sans goûter réellement la vie, si belle…
Le fleuve d’hiver me manque, Montréalaise d’adoption depuis quelques mois… Merci de me rappeler sa majestueuse beauté.
Monsieur David Desjardins, dans votre chronique de la semaine, vous mettez en évidence, chez certains romanciers américains, une propension à revisiter le passé comme un touriste désoeuvré ou nostalgique. Le souffle épique est disparu sous un fatras de souvenirs incolores et inodores. À ce titre, vous mentionnez Jonathan Franzen.
Votre propos est juste. Je viens de terminer son dernier roman « La zone d’inconfort » (2007) et ne ressens aucune émotion. Déjà, son roman fait partie des oubliés, des pertes de temps que nous avons tous. Ce n‘est pas que Franzen soit boulimique dans son écriture. Son dernier roman « Les Corrections » remontait à 2001. Quant un romancier se permet un roman à chaque année ou aux deux ans, on comprend que certains ne soient pas tous à la même hauteur. Chez Franzen, le problème est ailleurs.
Dans la quarantaine avancée, Franzen me semble plutôt un auteur en panne. Son « patchwork » de petites histoires ne rime à rien. Se devait-il de pondre une œuvre pour honorer le contrat qu’il avait signé avec son éditeur ? Franzen nous raconte son histoire personnelle (sous-titre de l’œuvre), mais le hic, c’est qu’il n’y pas d’histoire, seulement des récits touchant des événements éparts de sa vie.
Monsieur est nostalgique, son idéalisme des années 70 peine à survivre. Il ne se raccroche à rien, la dérision est son arme ultime. Pourtant, le monde est à changer comme en 70, tout est à faire et à refaire. C’est la loi de la vie. On peut évoquer le bon vieux temps, se morfondre pour les actes manqués mais au bout du compte, l’exercice mène nulle part. Reich disait qu’il ne fallait jamais faire un bilan de sa vie, on risquait d’être toujours déçu. Il a raison; comme Reggiani le chantait : « il faut avancer, toujours, toujours… ».
Vous regrettez le ton d’un Easton Ellis, je vous relance avec Michael Cunningham (« De chair et de sang » , « La maison du bout du monde »), de Philip Roth (« La tache », « Le complot contre l’Amérique ») et du merveilleux T.C » Boyle « América, « L’Orient, c’est l’Orient »). Son dernier roman « Talk », paru à la fin de 2007, met en scène des individus dépossédés de leur identité dans une société (usurpation de votre identité), où la carte de crédit et le permis de conduire vous donne vie, Sans elles, vous découvrez que vous n’êtes rien.
Si vous voulez plus de violence, de souffrance et de déliquescence, allez visiter les polars de James Lee Burke, dont l’écriture lumineuse vous entraîne, à la suite de son personnage Dave Robicheaux, dans les arcanes du mal en Louisiane, région pas si éloignée de nous.
Les bons sentiments sont toujours teintés par notre précarité humaine.