<p>La virulente sortie de François Avard à propos de la multiplication des chroniqueurs aux discutables vertus aura au moins servi à quelque chose: une sorte d’examen de conscience collectif.<br />Se sentant interpellé, mon collègue Steve Proulx, qui sévit sous la rubrique <i>Médias</i> dans notre édition montréalaise, y est allé d’une entrée à son blogue intitulée «Pourquoi chroniquer?».<br />Si j’y reviens ici, c’est que j’ai assez aimé sa manière de décrire la fonction qui, selon lui, se rapproche de la cartographie.<br />Une définition efficace, puisque la carte de nos préoccupations est en changement constant, et que le job du chroniqueur est d’en recenser les nouveaux continents, ou de constater leurs dérives. Mais comme vous suivez cette chronique que je tiens depuis maintenant plus de cinq ans, vous savez que si je m’aventure parfois en sol continental, ce que je préfère encore, ce sont les petits atolls, les îles moins peuplées.<br />Bref, comme chroniqueur, je n’entretiens aucune prétention qui relèverait de la polémique, de l’information ou de la réflexion collective. Cela ne signifie pas que je n’y parvienne jamais. <br />Seulement, ma seule véritable volonté, le moteur de ce job, ce qui me tient devant le clavier et l’écran, c’est avant tout d’écrire et d’être lu. Avec, peut-être aussi, la volonté de m’extraire le plus souvent possible de la convergence des sujets, phénomène sans doute bien plus dommageable pour l’état de l’information que la convergence des médias eux-mêmes.<br />Et tiens, puisque je suis plus préoccupé par le contenu de mes valises que par le sort de la ligue junior majeur, prêt à vous quitter pour les cieux plus cléments de la Californie, voici quelques cartes postales, des instantanés saisis pendant ces quatre dernières semaines que j’ai consacrées à la mort.<br />Cela vous changera des vitupérations de mes confrères et consœurs concernant la violence au hockey et les trous dans l’asphalte.</p>
<p>Y A-T-IL UN JOURNALISTE DANS LA SALLE? – S’il fallait que j’ajoute un truc à la liste des nouveaux péchés proposés par l’Église catholique, ce serait le péché de naïveté, duquel il me faudrait me confesser au moins 10 fois par semaine. Parmi ces naïvetés qui m’accablent en même temps qu’elles me rendent la vie supportable: celle qui veut que mon métier ne va pas aussi mal qu’on aime le prétendre.<br />Puis survient un malheur, sorte de miroir qui me renvoie une image mortifiante de l’état des lieux.<br />Et le malheur surgit comme ça, sans avertir, en ouverture d’un bulletin de nouvelles à TVA: Marc Gagnon, le patineur de vitesse, est pris à péter la balloune de l’ivressomètre. Il n’en faut pas plus pour qu’on dépêche dans sa ville d’adoption un journaliste censé palper l’indignation du quidam local. Sauf qu’il n’y a aucune indignation. Au contraire, on assiste à une suite de témoignages livrés par des gens posés qui se contentent d’affirmer que Gagnon est un citoyen ordinaire qui devra faire face à la justice comme les autres.<br />Je vous rappelle qu’on joue cette «nouvelle» en ouverture de bulletin. Pire, on nous promet presque le déboulonnement en règle de la statue du héros, le journaliste frétillant devant la caméra à l’idée d’avoir débusqué là un monumental scandale qui se révèle, sans qu’il s’en aperçoive, aussi tapageur qu’un pétard mouillé.<br />Tout ça pour dire que si j’étais journaliste pour le groupe Quebecor, je m’inquiéterais moi aussi des nouvelles façons de faire le travail. <br />Non pas en raison du journalisme multiplateforme qui amène les salles de nouvelles à faire du scribe un blogueur, et pourquoi pas un photographe, un caméraman et quoi encore. Non, ce qui m’inquiéterait, à leur place, ce serait de m’apercevoir que celui qu’on a affecté au poste de directeur de l’information au bulletin de nouvelles est nul autre que le rédacteur en chef d’Écho-Vedettes.</p>
<p>RED LOBSTER – Autre clou dans le cercueil de cette même naïveté, un communiqué me parvient la semaine dernière: le homard du Super Bowl est arrivé à Montréal. Gros lot d’une loterie organisée dans un bar de Boston, Goliath, un homard de huit kilos, a été repêché (s’cusez-la) par le Biodôme de Montréal après que la gagnante du gros lot eut refusé le potentiel festin pour en faire don à l’Aquarium de Boston, qui lui a trouvé une place dans la métropole québécoise.<br />Une nouvelle insolite parmi beaucoup trop d’autres, jouée dans presque tous les journaux, qui me fera répondre à François Avard qu’il n’a peut-être pas tout à fait tort, mais que les chroniqueurs aux propos par trop futiles ne sont qu’un symptôme de l’état actuel des médias. Des médias qui mesurent la valeur d’une nouvelle à son poids, soit selon l’intérêt qu’elle recèle pour un public qui consomme malheureusement l’information avec le discernement d’un banc de crustacés.</p>
<p>SERVICE RENDU – Au terme d’une série de chroniques nécrologiques, je m’attendais à recevoir de nombreux témoignages, mais ceux qui m’étonnent et me ravissent le plus, ce sont les plus récents, à propos des «fantômes» dont je parlais la semaine dernière.</p>
<p>«Après sa mort, je reconnaissais ma mère chez des dizaines de femmes que je rencontrais au hasard de mes déplacements, écrit J.A. Les mêmes cheveux blancs, la même taille mince et la même démarche hésitante.»</p>
<p>«Moi aussi, ça m’arrive régulièrement avec mon frère, confie M. Une démarche, un profil, une carrure. La folie d’avoir envie, pendant quelques instants, d’y croire. De se dire: “Ah, peut-être que tout ça n’était pas vrai?” C’est fou: je pensais bien que c’était juste à moi que ça arrivait.»</p>
<p>Comme chroniqueur, je me pose de nombreuses questions quant à la manière de faire les choses. Parmi celles-là, la pertinence de me mettre ici en scène, de confier des morceaux de ma propre existence afin d’illustrer une idée, une impression. Cela relève parfois de la forme, d’autres fois de la simple envie de dire.<br />Ce qui me rassure, c’est que la chose n’est pas parfaitement vaine, et ce dernier épisode ne fait qu’alimenter ma certitude que ce type de révélation de l’intime renvoie à l’universel, et nous permet, en quelque sorte, de nous sentir un peu moins seuls.<br />Je pars donc l’esprit en paix, avec l’impression, rassurante, d’être parfois utile.</p><p><i><font face="Arial" size="2"><span style="font-size:10pt;font-family:Arial;">David
Desjardins</span></font><font face="Arial" size="2"><span style="font-size:10pt;font-family:Arial;"> sera absent la semaine prochaine et de retour
le 10 avril.</span></font> </i><br /></p>
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Services rendus
David Desjardins
Parlant de chose inutile, avez-vous déjà lu un livre de Francois Avard?
JSJ
A cette étape-ci de votre vécu il est normal de viser l’Absolu, l’inaccessible Etoile que chantait Jacques Brel. De là à tout idéaliser, à tout vouloir sublimer en fonction de ce seul idéal, c’est à mon avis quelque peu utopique. Il faut du temps au corps et à l’esprit pour s’équilibrer et accéder ainsi à ce détachement qui est la source du succès personnel et par ricochet professionnel. Ce n’est pas non plus en se surpassant au-delà de ses propres limites ou de ses propres défis, autrement dit de forcer la note que l’on parvient à ce nirvana mental où enfin on peut flotter tout à son aise.
A votre âge on a peur d’y croire, mais souvent l’épuisement physique et mental peuvent être la cause de bien des maux. Parce que l’on se croit éternel, impatient et donc invulnérable, on se permet aussi de rêver à une discipline impossible tout en voulant conquérir malgré tout l’Everest, cette idéalisation indélébile.
Il est aussi normal de se chercher, de savoir qui on est, où on va, d’où l’on vient, quand, pourquoi et comment. Ce genre de réflexion exige bien des énergies et surtout du temps. C’est bien en vain d’ailleurs qu’on y parvient tout à fait. En bref, il faut attendre le temps qui lui fait son oeuvre en toutes choses. C’est aussi le meilleur médecin dit-on, même dans son propre cheminement intérieur.
Et puis que diable! Prenez ça mollo!
Lorsque je lisais François Avard du temps où il chroniquait dans ICI, je me disais que l’intelligence, l’humour et le cynisme ne sont pas à eux seuls des éléments susceptibles de rendre une chronique intéressante. Ça prend un minimum d’authenticité.