Desjardins

Freud aperçu parmi les émeutiers

<p>Le ça, c’est ce que les psys appellent parfois l’enfant intérieur.  <br />C’est le centre des désirs et des pulsions, sans la pudeur, sans la répression des règles, sans les codes sociaux. Sans la censure de la morale, quoi.<br />À l’inverse, ces codes, donc ce qui empêche l’humain de se branler devant tout le monde au centre d’achats comme le ferait un singe devant les badauds en visite au zoo, c’est ce que Freud appelait le surmoi.<br />Multipliez ces interdits sociaux qui règlent les dispositions du surmoi. Ajoutez-en encore et encore, restreignez au maximum les possibilités pour le ça de trouver des soupapes (qu’on appelle la sublimation, en psychanalyse), et vous obtenez une névrose, soit une forme d’extériorisation des pulsions qui contournerait en quelque sorte le surmoi. Une expression de ces frustrations trop excentrique pour répondre aux exigences de l’ordre social et qui se décline, selon les individus, en une multitude de comportements licencieux, malsains.<br />Voilà pour le préambule en forme de leçon de psychanalyse pour les nuls.<br />Maintenant, revenons à lundi soir, à Montréal, à l’émeute suivant la victoire du Canadien contre Boston. Je dis lundi soir, mais ce pourrait être un soir d’été 1992 au Stade olympique, à la fin d’un concert avorté de Guns N’Roses et Metallica. Ou encore, lors de nombreuses fêtes de la Saint-Jean dans les années 1990, ici, à Québec.<br />Car si je n’étais pas à Montréal lundi, mais devant le match à la télé, puis confortablement pieuté quand les premières voitures de flics ont pris feu, j’étais au centre de ces autres événements qui ont engendré de véritables émeutes, et je peux donc témoigner de leur caractère que je qualifierais de barbare si je n’avais pas si peur que, du coup, on me confonde avec Denise Bombardier.<br />Ce qui m’a toujours le plus frappé dans ces célébrations qui virent au bordel? Comme vous: leur plus totale absence de sens.<br />En quoi la victoire du Canadien lundi soir justifiait-elle qu’on s’en prenne à des boutiques et aux policiers (comme lors de la victoire en finale de la coupe Stanley en 1993)? Pourquoi la célébration de la fête nationale a-t-elle si longtemps été le théâtre d’un spectacle ayant la destruction comme principal sujet? Pourquoi les manifestations politiques comme celle tenue lors du Sommet des Amériques attirent-elles souvent dans leur sillage une vague de violence qui dépasse l’entendement (et qui n’a souvent rien à voir avec le discours politique quel qu’il soit)?<br />C’est peut-être dans la psychanalyse que se trouve le début d’une réponse: et si la société était à ce point névrosée que, lorsque surviennent des situations où tombent les conditions nécessaires à l’ordre (le plus souvent lors de rassemblements où le poids de la foule élimine toute possibilité de contrôle), ses éléments perturbateurs saisissaient l’occasion de faire éclater leurs pulsions de violence et de destruction?<br />Théorie un peu simpliste, bien imparfaite, j’en conviens. Reste que l’idée n’est pas tout à fait dénuée d’intérêt, sans compter qu’elle est plutôt séduisante.<br />Prenez un peuple aux aspirations collectives de plus en plus floues, déchiré entre l’individualisme et le mieux-être de la collectivité.  <br />Un peuple plongé dans un matérialisme et un conformisme auxquels il se soumet, parfois de son plein gré, d’autres fois par dépit, puisqu’il lui semble inutile de lutter contre ce rouleau compresseur, avec le lot d’iniquités que cela implique.<br />Ajoutez à ces ingrédients déjà passablement inflammables un autre flou: celui que crée la collision entre deux discours qui se heurtent de plus en plus violemment.<br />Le premier, issu de la contre-culture des années 60, veut que nous devions tendre à la liberté totale, entretenant le mépris pour toute règle qui est de toute manière le résultat d’une forme d’oppression. Jouir sans ambages, céder à son ça est, selon ce discours, une manière d’affirmer son individualité dans une société qui vise le conformisme. Et le désir de jouissance étant lié au désir de mort (Éros et Thanatos), la destruction n’est donc jamais loin.  <br />Pensons seulement au mouvement punk.<br />Le second discours, à l’inverse, incarnerait le surmoi, et il s’avère de plus en plus envahissant. Portez un casque à vélo, attachez votre ceinture en voiture, cessez de fumer, faites du sport, cherchez les meilleures perspectives d’emploi compte tenu du marché, prenez des REER, roulez moins vite, buvez moins, dormez plus, évitez les sucres et les gras, soyez écolos, ne consommez pas de porno, bref, tous les jours, on nous demande d’être un peu plus sages. C’est pour notre bien, et les pouvoirs en place prétendent savoir mieux que quiconque ce qui est bon pour nous.<br />Comme je l’expliquais plus haut, la psychanalyse prévoit qu’on doive trouver une forme de soupape afin de sublimer les pulsions du ça.  <br />Or, plus on accumule les interdits, et moins il y a des possibilités de sublimer ces envies.<br />Alors la tension monte, toujours un peu plus, attendant qu’émergent les conditions propices à l’explosion.<br />Comment se fait-il, alors, que même expliquées de la sorte, ces émeutes me paraissent toujours aussi absurdes?<br />Peut-être parce que leur violence est en parfaite adéquation avec la société de laquelle elle émane.<br />Car, remarquez, je suis peut-être complètement dans le champ avec cette analyse freudienne de la situation, mais je suis convaincu d’une chose: autant l’assouvissement de tous nos désirs sans égard à l’ordre relève-t-il de la sauvagerie, autant la volonté de policer notre monde à l’extrême et d’en colmater chaque petite faille relève de la débilité profonde.<br />Une société à ce point obsédée par la sécurité, la santé et l’économie en reléguant la justice sociale au statut de fantasme gauchisant peut difficilement faire autrement que de générer, chez ceux qui ne peuvent s’y conformer, l’envie de tout détruire.<br />Juste pour le fun. Ou ne serait-ce que pour rompre avec l’ennui.<br />  </p>