<p>Ça ne paraît pas ce matin, mais la semaine dernière, c’était l’été. Des filles en pattes, des gars en camisole, des gougounes qui font flip flop sur le trottoir, des terrasses surchargées, et le voisin qui n’en finit plus de laver son char. <br />Sauf que ce matin, c’est la fraîche du mois de mai qui revient dire: coucou, c’est pas fini, rangez pas vos manteaux trop vite. Écœurée d’avoir été fagotée comme un esquimau tous les matins de l’hiver, ma fille refuse d’attacher sa veste. Mais c’est le printemps, qu’elle rechigne. Ah ouin? Ok, d’abord. Quelques minutes plus tard, elle grelotte dans son chandail qu’elle tient fermé avec ses petites mains. Fait froid, papa, qu’elle me dit en me toisant avec des yeux dépités du bas de son petit mètre de blondeur et de peau nacrée. Ben oui, bébé, je t’avais avertie, et t’avais qu’à me laisser zipper ton chandail aussi. <br />Mais la semaine dernière, comme je disais, c’était l’été. Mardi, ayant terminé la journée plutôt hors de moi d’avoir pondu une chronique moyenne, mais surtout de m’être chicané à propos de bidules administratifs dont je vous épargne les détails, je pars rouler, bille en tête. Cuissard court, maillot court, pas de gants, rien sous le casque, y’a pas un soupçon de vent. Juste la bonne température, pas loin de 20 degrés, parfait pour suer sans trop avoir chaud. Et de suer, je me le promettais. Conception un peu judéo-chrétienne de l’existence: faut que j’expie mes péchés par l’effort, et si je parle surtout de l’effort sportif, c’est que le reste, c’est pas vos affaires, bande de voyeurs. <br />Au premier coup de pédale, je me sens léger, j’ai des bonnes jambes. Je prends Canardière vers l’est, défie un autobus qui me tasse vers le trottoir, je me lève, le dépasse, puis ralentis au carrefour devant Robert-Giffard. De l’autre bord de la rue, un type hurle une litanie d’insultes destinées à un public inexistant. Un fou qui gueule devant l’asile, rien de plus normal, de plus logique, et pourtant, il me semble que c’est comme… too much, presque caricatural. Ça a l’air arrangé. Mais non. <br />Passé le moment d’effroi urbanistique au coin D’Estimauville, je fonce comme un dingue dans Beauport, sur la Royale. Un drôle d’endroit, complètement schizo, lui aussi. De belles maisons ancestrales y côtoient du béton et de la taule gaufrée. On dirait la Gaspésie, on dirait 1850 et 1950 qui se sont chicanés, on dirait deux gangs d’architectes criminalisés qui se seraient battus pour l’obtention du territoire, avec le résultat parfois navrant que cela suppose. <br />Dans le coin de L’Ange-Gardien, la route surplombe le fleuve, gris, impassible, à la fois paisible et menaçant, tandis que la route réclame à nouveau mon attention: c’est craqué de partout, défoncé, plein de cochonneries dans l’accotement. Pas étonnant qu’on ait surnommé l’endroit véloroute Marie-Hélène-Prémont, mieux vaut la parcourir en vélo de montagne. <br />Malgré cela, malgré le rythme d’enfer que je m’impose, malgré les voitures qui m’oppressent, les ti-culs en skate qui m’envoient chier sans raison apparente, sinon que pour eux je suis un vieux con couché sur un vélo avec de trop petits pneus, je jubile. Le fleuve à côté, les arbres qui suspendent une voûte végétale au-dessus de ma tête et à travers laquelle le soleil répand de gros rayons d’or (merci Richard Desjardins), l’odeur lointaine du fumier, le pittoresque des caveaux à légumes dont je repère les portes encastrées à même le cap, et cet été qui revient après un hiver d’une éprouvante rigueur. <br />Ce feeling, il me prend presque à chaque sortie de printemps. L’autre jour, c’était avec Jeff Brousseau, dans le rang Notre-Dame entre les routes de l’Aéroport et de Fossambeault: nous filions sous un ciel soudainement incertain qui menaçait des terres qui se perdent dans Val-Bélair, les vieilles granges décrépites penchaient comme si le sol tanguait. J’avais l’impression d’être au bout du monde, puis une heure plus tard, j’étais chez moi, downtown Limoilou, le corps usé, mais le sourire tatoué sur le visage. <br />C’est que, voyez-vous, j’aime ma ville, mais je préfère m’en extraire pour mieux y revenir. Des évasions aux proportions homéopathiques, mais fréquentes. <br />Ces sorties alimentent d’ailleurs la série de chroniques sur la ville que je prépare en ce moment – 400e oblige. Des chroniques que j’espère un peu à côté de la track, mais pas trop. Des cartes postales, mais pas trop non plus. Du monde, surtout. Des visages, des voix, une sorte de folklore contemporain. <br />Disons qu’il s’agit ici du premier volet, en quelque sorte. Une chronique qui donne le ton, où le paysage et les sensations qu’il inspire traduisent mon sentiment envers ma ville.<br />Une ville qui ignore ce qu’elle veut. Comme l’avenue Royale. Son patrimoine et sa modernité se font trop souvent la guerre, avec les résultats parfois navrants que l’on connaît. Déchirés entre le confort du statu quo et l’incertitude des lendemains qui chantent un air nouveau, nous sommes comme le fou devant l’asile, et passons donc bien du temps à beugler pour un public inexistant, sinon peut-être quelques politiciens qui capitalisent habilement sur la chose, la médication qu’ils proposent tenant le plus souvent du placebo. <br />Et au centre de tout cela, du passé comme du présent, toujours ce fleuve dont il m’a fallu de nombreuses années pour réaliser qu’on ressent sa présence même quand on ne le voit plus, qu’il est une force vive qui rythme nos vies sans qu’on sache vraiment trop pourquoi ou comment, qu’il est le symbole de nos humeurs changeantes et de nos transports parfois excessifs. <br />Mais le principal attribut de cette ville, c’est celui qui revient le plus souvent dans la bouche des gens d’ici: la qualité de vie. Pour certains, il s’agit de passer 45 minutes plutôt qu’une heure au volant de l’auto, entre la ville et la banlieue. <br />Ce qu’on oublie souvent, par ailleurs, c’est que contrairement aux métropoles qui n’en finissent plus de finir, et c’est là qu’est sa véritable qualité de vie, Québec (et sa banlieue) ne garde prisonniers que ceux qui choisissent de s’y enchaîner. Elle laisse facilement, aux autres qui savent que le désir s’entretient à force de petites absences, la possibilité de s’évader souvent pour mieux revenir.<br />Comme l’exil, aussi bref soit-il, comporte certains risques, on recommande évidemment le port du casque. <br /> <br />QUÉBEC, ENCORE – Comme je l’écrivais plus haut, je concocte présentement une série de chroniques sur la ville, sur son monde, mais je n’en dis pas plus et vous réserve la surprise. Si toutefois vous avez des suggestions de lieux méconnus ou de personnages aux proportions mythiques injustement relégués à l’anonymat, je vous invite à m’en faire part. Vous pouvez m’écrire en passant par notre site Internet au <a href="http://www.voir.ca/">www.voir.ca</a>, ou encore en écrivant à mon adresse de courriel: <a href="mailto:[email protected]">[email protected]</a>. Si toutefois vous êtes encore à l’âge de pierre ou entretenez un quelconque contentieux avec la technologie, je vous invite à lire <em>Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes</em> de Robert Pirsig (édifiant, je vous jure), puis à m’écrire à la mitaine au 470, rue de la Couronne, Québec, G1K 6G2. Pattes de mouches s’abstenir.</p>
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Québec – Scène un, prise un
David Desjardins
J’ai croisé une fille dernièrement qui me semblait plutôt petite pour ce qu’elle semble pouvoir supporter. Une vraie Ève mais habillée. Une vraie Marie qui fait des bébés toute seule, Un vrai phénomène, définitivement.
Ce que j’ai trouvé de très triste par contre c’est que comme toutes les femmes, elle semblait complêtement désespérée. À la recherche de je ne sais quoi.
Cela lui donnait par contre un petit air vraiment mignon.
Si vous la cherchez, monsieur Desjardins, faut ouvrir les yeux et lui rentrer dedans.
Faut être plus rusé qu’une fille quand même.
Il semble de toute façon qu’elle laisse entrer n’importe qui dans sa maison qui n’est certes pas un palace mais qui est bien agréable pour discuter et prendre le temps de rigoler un peu par ces temps de grande solitude.