L’église Saint-François-d’Assise s’est parée de longues banderoles torsadées, tendues entre sa façade et le parvis. Congrès eucharistique oblige.
Vendredi matin, les feuilles des érables semblent recouvertes de cet apprêt vert surréel qu’appose la lumière des mois d’été sur les choses. Après ce qui a paru une éternité de ténèbres pluvieuses, le soleil se rappelle enfin à notre bon souvenir. Je stationne mon bazou. Derrière moi, une mère, un père et leurs trois enfants débarquent de leur camionnette et entrent dans l’église où une vingtaine de fidèles écoutent le sermon récité en anglais, puis l’eucharistie, en latin.
Le rituel est ponctué du son de clochettes, tout le monde prostré, à genoux, trois femmes baissent la tête pour prier, leurs cheveux couverts de dentelles noires, diaphanes. J’entends un dominus vobiscum, puis in nomine patris, et filii, et spiritus sancti. Gling! Gling! Gling! La lumière traverse timidement les vitraux tandis que je m’imprègne du caractère vaguement anachronique de la chose, ce qui n’est pas désagréable.
Je me lève et glisse silencieusement dans le déambulatoire jusqu’à l’arrière, où j’ai spotté un candidat potentiel à cette galerie de personnages que je constitue depuis un mois dans cette chronique. Si j’étais un journaliste sérieux, je courrais sans doute après Mgr Ouellet, mais les éminences grises et leurs discours entendus ne m’intéressent guère. Je leur préfère ceux qui évoluent plus près du sol.
C’est la mission que je me suis donnée dans cette série: parler des gens ordinaires qui font vivre Québec.
Échange rapide de quelques mots pour signifier ma requête d’entrevue, et l’abbé me suit à l’extérieur pour bavarder. Une longue robe noire de jésuite. Des cheveux parfaitement peignés évoquent l’austérité d’un Stephen Harper.
Dès le départ, je suis clair. Aucune envie de discuter des positions de l’Église, de morale, ou de quoi que ce soit du genre. Je veux plutôt en apprendre sur l’homme. Vingt-sept ans, il connaît bien les lieux, puisqu’il y a célébré la messe en latin en 2006 et 2007, «comme du temps de Champlain», précise-t-il. L’environnement d’une famille très croyante l’a mené à la prêtrise, explique-t-il ensuite sommairement.
Vingt-sept ans, prêtre. En quoi cela est-il ordinaire? Ce ne l’est pas, justement, même si l’abbé dont je préserve l’anonymat – vous comprendrez pourquoi – prétend que la moyenne d’âge de la fraternité à laquelle il appartient avoisine le milieu de la trentaine.
Ce qui est plus ordinaire, par ailleurs, c’est le discours qu’il tient. Ordinaire dans ce qu’il a de prévisible.
«Je trouve très excitant de remplir cette mission dans le contexte de la société actuelle, laisse-t-il d’abord tomber. La société québécoise est belle, mais elle a perdu l’équilibre, elle est en manque de valeurs, a perdu ses repères, ses idéaux. En s’éloignant de Dieu, les gens ont du mal à vivre. Ce qui explique la destruction des familles, la drogue, le suicide.»
On croirait entendre la cassette que nous joue habituellement le cardinal local.
Nos âmes sont insatisfaites par le matérialisme, affirme-t-il. J’en conviens. Mais là où ceux qui ne se satisfont pas du dogme religieux commencent à réfléchir sur la voie à emprunter pour se sortir du marasme existentiel, les curés cessent de penser. Je veux dire qu’ils s’accrochent à une idée manichéenne du monde. La bonne et la mauvaise voie. Pas de chemins de traverse, pas d’exploration, mais surtout, pas de doutes. Juste une idée de la perfection qui s’accorde bien mal avec la pensée critique.
C’est là que se consomme la rupture, que toute possibilité de discussion cesse. Je veux bien me garder de juger cet homme, mais quand il me juge, moi, je fais quoi? Je tends l’autre joue?
Quand il débite les pires énormités, sans même que je l’y invite, et alors que je faisais justement tout pour éviter ce genre de propos, je devrais faire preuve de compréhension, d’ouverture, de tolérance?
Comment voulez-vous argumenter avec quelqu’un qui affirme sans ciller que le mariage homosexuel ouvre la porte aux unions avec les animaux?
«Jésus nous a prévenus que nous serions martyrisés pour nos idées.»
Désolé, monsieur l’abbé, je ne vous ferai pas ce plaisir.
Je suis surtout déçu, je vous l’avoue.
J’aurais aimé pouvoir vous dire que la beauté ne se trouve pas que dans un fantasme de perfection. Qu’à bien des égards, c’est encore cette idée qui ruine le monde, même si le monde ne l’associe plus à Dieu, mais au cul de leur femme qu’ils voudraient petit et ferme comme celui de Gisele Bündchen, ou à leur télé, qu’ils voudraient grande comme dans la pub.
J’aurais aimé vous citer Leonard Cohen. There’s a crack in everything, that’s how the light gets in.
J’aurais aimé vous parler d’une autre manière d’envisager le sacré.
Le sérieux de la démarche spirituelle peut parfois s’embarrasser d’un peu d’humour, d’un peu d’impureté. C’est parfois de là que la lumière jaillit.
Je suis déçu, vous disais-je, parce que je crois au dialogue, parce que j’avais envie d’échanger, parce que je souhaitais tout, sauf d’être reconduit dans mes positions concernant votre Église.
Mais bon. Je croyais pouvoir parler avec un homme. J’ai plutôt discuté avec une des pierres du temple. Très lisse, et très froide aussi.
Sommes-nous en train d’assister au retour de David!?!
Enfin, j’espère que non… si je puis dire, il me semble que la seule démarche n’en vaut pas la chandelle… pourquoi aborder un homme portant la tunique jésuite alors qu’on sait bien que l’ordre est des plus conservateurs…
N’aurait-il pas été plus opportun d’approcher un simple laïc… question de revoir la définition de la laïcité… qui a malheureusement pris, dans la bouche d’un grand nombre de babyboomers et d’héritiers de la « révolution tranquille », un sens on ne peut plus « perverti »… la laïcité, état de celui qui n’appartient ni aux ordres ou ni à la hiérarchie, en a pris pour son rhume depuis quelques temps d’ailleurs…
Aux vues du discours de plusieurs participants aux débats entourant la question des « accommodements raisonnables », il est possible de dégager deux tendances lourdes, serties d’une multitudes de parfums intermédiaires… en fait, les deux sont « héritiers directs » de l’histoire de l’église catholique au Canada français (il faut comprendre que le phénomène est tout aussi marqué dans les populations francophones hors-Québec)…
Voici, grosso modo, les deux grands courants: 1) les héritiers de la foi catholique et 2) les héritiers de la façon de faire de la hiérarchie et des ordres… Malheureusement, les partisans et défenseurs de la laïcité font généralement partie du deuxième groupe: leur discours est tout aussi acerbe, intransigeant, fermé au dialogue que ne l’était la fameuse « Église » de laquelle ils se sont prétendument « dissociés »…
De leur côté, les héritiers de la foi catholique (chrétienne) sont plus conciliant avec la différence, leur but principal n’étant pas de « convertir » sous l’inspiration du « missionnarisme » insufflé par l’esprit de la pensée du Cardinal de Richelieu, mais bien de trouver une certaine « paix », tant sociale (avec ce qui lui est extérieur) et « spirituelle » (avec lui-même)…
Le phénomène spirituel n’est pas le propre des religions chrétiennes, mais appartient à tout être… c’est cette même compréhension du monde qui fit dire à l’inspirateur du christianisme (Jésus) que le corps est un « temple »… si le temps est un lieu de recueillement, un lieu où il est « bon » de « sanctifier Dieu »… à plus forte raison, le corps ne devrait-il pas être sanctifié? et toute la création?
Certes, si les élites (hiérarchie et ordres religieux) ne vivent pas toujours selon ces principes, la majorité des populations à travers le monde tendent à la réalisation de ce fait… dont les traces se retrouvent dans toutes les grandes religions, ainsi que dans les traditions anciennes, comme celles des premières nations dont le mode de vie traditionnel respecte ces grandes lignes… grandes lignes que plusieurs défenseurs de ladite « laïcité » ont oublié de mettre en pratique à l’exemple des Pharisiens du temps de Jésus…
Chaque homme porte en soi la grandeur d’âme et la petitesse d’être humain. J’ai voulu voir la grandeur et la beauté partout alors qu’en moi-même je ne voyais que la noirceur. J’ai aimé mon humanité en aimant mes enfants et en m’ouvrant sur le magnifique monde de la création qui transporte tant d’oeuvres sublimes et transcendantes alors que j’ai toujours jugé mes propres oeuvres très durement et me suis toujours détruite à petits feux à ne pas pouvoir supporté le fait que je souffrais. J’ai eu de la compassion pour tous sauf pour moi-même. C’est en cette nuit de réflexion intense que j’ai finalement compris la phrase « Aime ton prochain comme toi-même.« Il m’aura fallu tout perdre (sauf mes enfants et mes amis, Dieu merci), faillir jusqu’à perdre ma vie et la raison pour arriver à comprendre que j’étais incapable de m’aimer.
L’amour est sacré et l’amour des autres commence par l’amour de soi.
Il y avait un gouffre de désespoir en moi et c’est par là que la lumière est finalement entrée…
« There’s a crack in everything, that’s how the light gets in.«
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En feuilletant un livre magnifique de pensées de sages africains, je suis tombées sur deux phrases qui je crois exprime bien la déception que tu as pu vivre dans ta discussion avec le prêtre.
« Le véritable dialogue suppose la reconnaissance d’une certaine égalité morale de toutes les parties concernées. En ce sens, le dialogue présuppose le respect de « l’autre« . Ce respect fait défaut aussi bien dans les têtes que dans les coeurs de certains partenaires en discussion.« Kwasi Wiredu.
Je crois qu’en se sentant seul à posséder la vérité, ce prêtre en a oublié le respect de l’autre.
« Qu’est-ce donc que la vérité? C’est cet équilibre fragile qui naît du choc des antagonistes. C’est la blanche écume des vagues. C’est le parfum, la synthèse de tous les ingrédients qui mijotent dans la marmite. La vérité n’est point monolithique. Elle est l’enrichissement réciproque dans le respect des contraires.« Irénée Guilane Dioh
J’aime ta pensée car elle m’amène toujours sur des sentiers que je ne saurais explorer seule. Merci David.
En continuant ma lecture de « Anges de la désolation« de Kerouac tout à l’heure, je suis arrivée à ceci…
« Et je crois Bouddha, qui a dit que ce qu’il a dit n’était ni vrai ni faux, et c’est là la seule chose vraie ou bonne que j’aie jamais entendue et ça me rappelle vaguement quelque chose, un puissant coup de gong supramondain.-Il a dit, « Ton voyage a été long, sans limite possible, tu es arrivé à cette goutte de pluie appellée ta vie, et que tu dis tienne-nous avons voulu que tu fasses le voeu d’être éveillé-quand bien même au cours d’un million de vies tu négligerais ce Souverain Conseil, ce serait toujours une goutte de pluie dans la mer et qui s’en soucie et qu’est-ce que le temps-? Ce Brillant Océan de l’Infinitude fait voguer bien des poissons au loin, qui vont qui viennent comme le reflet sur ton lac, figure-toi mais plonge à présent dans l’embrasement du rectangle blanc de cette pensée: tu as été désignée pour t’éveiller, voici l’éternité d’or, dont la connaissance ne te sera d’aucune utilité sur cette terre car la terre n’est pas essence, un mythe de cristal-affronte la vérité de A à H, toi qui t’éveilles, ne sois pas soumis au ruses du chaud et du froid, de la tranquillité et de l’inquiétude, aie à l’esprit, papillon de nuit, l’éternité-vis dans l’amour, serviteur ou seigneur, de la diversité infinie-sois l’un des nôtres, Grands Savants sans Savoir, Grands Amants au-delà de l’Amour, hôtes sans réserve et anges de formes et de désirs innombrables, corridors surnaturels de chaleur-nous chauffons pour te maintenir éveillé- ouvre les bras pour embrasser le monde, lui et nous nous ruons vers toi, nous déposerons la marque argentée de nos mains d’or sur ton front laiteux et béni, pouvoir de te pétrifier dans l’amour pour toujours- Crois! et tu vivras pour toujours- Crois que tu as toujours vécu- rejette les prisons et les pénitences d’une sombre et solitaire vie de souffrance sur la terre, la vie est plus que la terre, la Lumière est Partout, regarde-« «
N’est-ce pas magnifique?
Juste un tout petit mot pour te dire que j’ai beaucoup apprécié ton article « une pierre du temple ». Souvent et peut-être toujours, on aime lire ce qui nous ressemble. C’est comme si tu avais condensé en une colonne de texte ma pensée par rapport à l’Église, mais plus globalement aussi au dogme religieux. Je suis toujours en admiration avec les cerveaux qui savent non seulement penser mais aussi et surtout, manifester cette pensée en un paquet de mots super cohérent et concis. Mais bon, c’est ton travail, et c’est pas le mien. Tout est juste et bon. :) Je me suis toujours intéressé à la religion, pas en tant que participant mais comme observateur. J’ai fais un petit certificat en science des religions à l’Université Laval, question de creuser un peu cet intérêt, et aussi de comprendre le phénomène en tant que recherche ou entretient du sacré. Bon, un petit survol un peu grossier, mais enfin, très cool quand même. Depuis je suis toujours très heureux lorsque j’ai la chance de discuter avec un croyant, quelque soit sa religion. Mais voilà, je me butte plus souvent qu’autrement exactement à ce que tu relève dans ton article: le dialogue est impossible. Et je me dis, merde, pourtant, on s’intéresse à la même chose, non? On s’intéresse au sacré, à la vie, putain, on cherche tous ensemble non? Eh non. Quand un témoin de Jéhovah cogne à ma porte, je suis sidéré lorsque je constate à quel point certain peuvent évoluer d’une façon si hermétique, allergique à toutes formes d’exploration, de créativité, de recherche. C’est peut-être moi, mais comment apprendre à vivre sainement en refusant d’apprendre d’expériences vivantes? Comment évoluer en tant qu’être humain en empruntant une route aussi rigide, en acceptant bêtement à la foutue lettre LA recette du sens de la vie écrite dans un foutu bouquin? Je veux dire, au pire, ok, utilise le bouqin comme point de départ, mais merde, quitte le nid, prend ton envol, vient explorer par toi-même, la vie s’en charge habituellement très bien! Un auteur a dit un jour une chose qui m’a marquée, du genre « la religion doit être un chemin, et non un bouclier », et je trouvais ça franchement génial. Anyway.
Merci, et merci surtout pour le paragraphe qui débute par « J’aurais aimé pouvoir vous dire que la beauté ne se trouve pas que dans un fantasme de perfection. Qu’à bien des égards, c’est encore cette idée qui ruine le monde… ». Wow. Superbe, moi-aussi, moi-aussi. T’as mis la doigt, pil poil, sur une problématique tellement actuelle qui dépasse tellement le discours religieux. On vit là-dedans au jour le jour, dans cette course débile vers le plus que parfait qui ne laisse derrière elle que des éternels insatisfaits en quête constante qui ont oublié d’apprécier le maintenant, la vie, tellement parfaite dans ses imperfections.
« Il m’aura fallu tout perdre (sauf mes enfants et mes amis, Dieu merci)… »
Une autre chose que je n’ai jamais perdue et qui est sacrée pour moi et c’est mon amour pour la musique et d’aimer la musique est un peu une façon de m’aimer finalement car je ne m’en prive jamais quand j’en ai beosin, c’est à dire du matin au soir.
Je le dis car je n’aime pas laisser un commentaire incomplet même si cela ne dérange probablement personne sauf moi au bout du compte.